"La première chose qu’il faut faire, c’est prendre soin de votre cerveau. La deuxième est de vous extraire de tout système d’endoctrinement. Il vient alors un moment ou ça devient un réflexe de lire la première page de votre journal en y recensant les mensonges et les distorsions, un réflexe de replacer tout cela dans un cadre rationnel. Pour y arriver, vous devez encore reconnaitre que l’Etat, les corporations, les medias et ainsi de suite, vous considèrent comme un ennemi; vous devez donc apprendre à vous défendre. Si nous avions un vrai système d’éducation, on y donnerait des cours d’autodéfense intellectuelle." Noam Chomsky.

" Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire ". Albert Einstein.

samedi 26 mars 2011

Consacrer la Rupture et la Démocratie Directe. Walid Bel Hadj Amor.



Quel Bilan, 70 jours après :
La question du bilan de la situation en Tunisie, 70 jours après le départ du président déchu, est importante même si ce délai reste court, très court même, vu l’état dans lequel 23 ans de népotisme ont laissé le pays.
Si l’on regarde la situation de manière objective, il faut reconnaître que les résultats ne sont pas satisfaisants, et que la principale réalisation reste d’avoir recouvré la sécurité assez rapidement, même si tout n’est pas parfait à ce jour. La sécurité étant un préalable à toute reconstruction, elle est fondamentale.
Au niveau économique la situation est alarmante, mais finalement assez normale, surtout si l’on tient compte de ce qui se passe en Libye, et dont l’effet est désastreux sur notre économie. Quoique normale, cette situation reste explosive dans la mesure où des changements importants sont attendus suite à la révolution de la dignité dont l’emploi reste l’une des revendications principales. Sur ce plan, le gouvernement travaille, et je suis assez confiant quant à sa capacité à obtenir des résultats tangibles dans des délais raisonnables. Dans ce domaine, le principal problème va consister à apporter un traitement au déficit de recettes fiscales de l’état, à la baisse d’activité des entreprises qui va assécher leur trésorerie et aux questions du chômage et de la pauvreté. Mais les pistes existent, elles passent par des mesures fiscales et sociales en faveur des entreprises telles que l’exonération et le report des charges, ou encore le remboursement des crédits d’impôts aux entreprises. Sur un plan macroéconomique, la renégociation de la dette y compris l’annulation d’une partie, et l’appel aux bailleurs de fonds pour soutenir l’économie tunisienne. Dans le même temps, un effort immédiat doit être consacré à rétablir un équilibre régional, à travers le développement des infrastructures de base des gouvernorats de l’intérieur, pour créer de l’emploi et aussi et surtout augmenter leur attractivité et favoriser l’investissement futur. Mais il faut que tout le monde sache, que si le prix du sang a été contenu, même si chaque mort est un mort de trop, il y aura un prix économique à payer, et à celui-là personne n’échappera. Le tout est d’en faire un investissement dans la démocratie.
Sur le plan politique, les choses sont plus nuancées, s’il on peut saluer les mesures prises en matière de libertés politiques et associatives, il faut reconnaître que certaines revendications n’ont pas été entendues, puisqu’il n’y a pas eu à ce jour de vraie purge de l’administration, et qu’à part une centaine de représentants de l’ancien régime, il y a aujourd’hui beaucoup trop de gens qui sont toujours en responsabilité et dont le comportement passé prête à discussion.
Le principe de la responsabilité ne peut pas être systématiquement bafoué, en considérant que les hauts responsables n’ont fait qu’appliquer des instructions venues de plus haut. Cela reviendrait à considérer que les fonctionnaires ne sont pas dotés d’un libre arbitre, ni d’une conscience professionnelle qui auraient permis de limiter les passe-droits et les dépassements de toutes sortes.
Est-il acceptable qu’à ce jour il n’y ait eu aucun mouvement d’ampleur touchant nos représentations à l’étranger ? Que l’on ait mis autant de temps à publier la fameuse liste des 110? Je ne le crois pas, car on donne l’impression et plus, que rien ne change, et on instille l’inquiétude et le doute dans l’esprit du peuple, d’une confiscation de la révolution.
Une crise politique et un clivage fort :
Nous sommes nombreux à appeler à la construction d’une nouvelle république, qui rende au tunisien sa citoyenneté et qui le place au centre de ses préoccupations, une république attachée aux libertés et au bien être de ses citoyens. J’ai souvent pensé que sous Ben Ali nous étions devenus des locataires, et aujourd’hui nous aspirons à redevenir des copropriétaires de ce pays qui nous appartient à tous, il ne fallait pas laisser les intérêts personnels reprendre le pas, et que le gens ne soient préoccupés que par la reprise du travail quelque soient les conditions, cela n’était pas respectueux envers ceux qui sont morts pour notre liberté.
Nous traversons une crise politique, issue d’une crise de confiance, et le rétablissement de la confiance passe par le recouvrement de la crédibilité du gouvernement, et de l’appareil d’état y compris les commissions, et cela n’a pas été mené correctement, et a contribué à créer une situation de tension. Le gouvernement a raté plusieurs occasions de mieux communiquer et d’offrir des symboles aux revendications du peuple. C’est ainsi qu’il aurait fallu s’attaquer plus tôt au RCD, proposer un cabinet ministériel de transition plus resserré, avec plus de femmes, et surtout mettre en place une cellule de communication en pleine lumière, un canal officiel qui réponde aux questions des journalistes et aux interrogations des tunisiens. En temps de crise la communication revêt une importance capitale.
La mauvaise gestion de cette phase qui aurait du être une phase de rupture franche, a conduit à un clivage fort au sein du peuple tunisien.
La Tunisie s’est retrouvée partagée en deux, entre ceux qui voulaient que les choses redeviennent normales très vite, voire immédiatement, et ceux plus méfiants qui voudraient d’abord s’assurer que la bête est morte, et qu’elle ne va pas renaître de ses cendres. Je crois pour ma part que ces deux réactions sont normales et qu’elles ne devaient pas s’opposer mais être rapprochées, un travail que le gouvernement n’a pas su ou voulu faire.
Rapprochées, parce que ces deux groupes ont les mêmes aspirations, et ne sont séparés que par leur vécu de l’oppression, car enfin tous les tunisiens n’ont pas été égaux devant le régime de Ben Ali, il y a ceux qui ont subi de manière directe l’humiliation et il y a ceux qui l’ont vécue de loin sans être confrontés directement au clan ni au RCD et leurs dépassements. Ces derniers ont exprimés leurs peurs, celle du vide et de l’inconnu. Ils ont cherché à se convaincre qu’il fallait vite revenir à une vie normale, et que le départ de Ben Ali et de son clan, était en soi une victoire suffisante.
Quelle Suite ? Consacrer la rupture ! :
Ainsi, c’est sur le plan politique que les choses piétinent, il faut agir plus vite, donner des signaux positifs dans la mise en œuvre des réformes et dans la préparation de l’avenir de cette nouvelle république. Le principal souci étant, après quelques errements, de consacrer la rupture avec le passé, et de redonner l’initiative au peuple, comme il en a exprimé la volonté.
Au risque de créer les conditions d’une Kasba 3, il est impératif que le gouvernement et la commission de restructuration réalisent une bonne fois pour toutes que leur rôle est de donner suite et corps aux revendications de la révolution, car c’est de là qu’ils puisent tous deux leur légitimité. Cela passe nécessairement par l’élection d’une assemblée constituante sur la base d’un scrutin uninominal à deux tours, par opposition à un scrutin de liste utilisé jusque là, lors des élections législatives. L’objectif est de favoriser les candidatures individuelles, fermant ainsi la porte aux listes qui feraient immanquablement la part belle aux partis anciens, et conduira à une récupération politique de la révolution par des partis qui n’y ont finalement pas contribués, pas directement du moins. Les nouveaux partis auront du mal à présenter des listes dans tout le pays, pour ainsi maximiser leurs chances dans ces élections, et éviter d’être marginalisés.
Le deuxième fondement de la démarche doit être le référendum constitutionnel qui permettra au peuple de se prononcer directement sur la nouvelle constitution, en portant un avis sur les principales questions (régime, fondements de la république, laïcité, nombre et durée des mandats,…).
Je pense que ce serait une erreur majeure de vouloir imposer une assemblée constituante élue à travers un scrutin de liste, et de lui déléguer le pouvoir d’écrire et de voter la constitution sans recours à l’expression populaire. Quelque soit le mode de scrutin adopté pour l’élection de cette assemblée, elle ne sera jamais suffisamment représentative pour garantir la prise en compte de l’expression la plus large, c’est pourquoi le scrutin uninominal ne sera pas suffisant, et le référendum une nécessité.
Ce referendum constitutionnel doit être organisé en même temps que l’élection présidentielle, ce qui engagera le président élu, qui ne pourra dès lors que faire adopter la constitution par l’assemblée constituante, (acte purement formel après l’expression populaire), nommer un gouvernement, et organiser tout le processus électoral des législatives et des municipales, quelque soit le régime adopté par les tunisiens.
La combinaison en ce moment précis, entre démocratie participative à travers l’élection de l’assemblée constituante et démocratie directe par le truchement du référendum, est la seule démarche, à mon sens porteuse d’espoirs, qui permettra une vraie rupture avec les procédés du passé. Elle donnera l’occasion à tout le peuple tunisien de s’exprimer individuellement sur son avenir, et de concrétiser l’engagement et la responsabilité de tous les tunisiens dans la construction de la nouvelle république. Dans le même temps, cela permettra de reporter l’engagement direct des partis neufs dans la vie politique, et de donner du temps au temps, en offrant la possibilité que les orientations se précisent, que les discours politiques se fondent, et que les bases militantes se constituent.

vendredi 25 mars 2011

« Des régimes de type semi-présidentiel avec des procédures d’impeachment et de vrais contre-pouvoirs : un compromis idéal ». Lyes Jouini. La presse de Tunisie 22.03.11

Le débat sur le projet du Code électoral bat actuellement son plein. Tout le monde convient en effet de l’importance «stratégique» de ce texte pour l’avenir politique du pays et, partant, pour son avenir tout court.

Une ébauche de débat pluriel est également engagé à propos de «la nature du régime» à choisir pour la Tunisie. Présidentiel, parlementaire ou semi-parlementaire : les modèles ne manquent certes pas dans le monde mais la recette «made in Tunisia» est loin d’être trouvée.

Pour en savoir plus sur les enjeux liés à ces questions prioritaires et non moins sensibles,  La Presse, qui accompagne le débat civique et citoyen en la Tunisie de l’après-révolution, a approché M. Elyès Jouini. Interview d’une personnalité qui, de toute évidence, n’a pas que la bosse des mathématiques. De l’esprit et de la suite dans les idées. Eclairages.

La Constitution a été suspendue, le Conseil des ministres a examiné les textes relatifs à la dissolution du Parlement et du Conseil constitutionnel, le vote pour une Constituante a été annoncé pour le 24 juillet, quelles réflexions vous inspire cette dynamique politique ?

La Constituante a l’avantage de refléter la nation dans sa diversité. L’émergence de très nombreux partis est l’expression saine de la volonté d’agir et de s’engager pour son pays, de la part de citoyens qui ont été bâillonnés pendant des décennies. Cependant, parce que l’élection d’une Constituante ressemble par de nombreux aspects à celle d’une Assemblée législative, elle va donner lieu à un très grand nombre de candidats, probablement des dizaines par siège à pourvoir. S’ajoute à cela l’absence de partis au réseau structuré et au discours qui soit à la fois affirmé à l’échelle nationale et ancré dans la durée. En effet, la plupart des partis n’ont pas de racines anciennes et suffisamment bien implantées dans les différentes régions du pays. Lorsque les partis ne sont pas en mesure de relayer les discours de par leurs réseaux, ce sont alors les médias qui se retrouvent à jouer un rôle central en la matière. Cependant la multitude de candidats — comme on l’a dit, probablement plusieurs dizaines par circonscription — rendra cette tâche quasiment impossible. Il sera impossible de donner la parole à tous sur des durées significatives afin de permettre aux électeurs de décortiquer et de comparer leurs projets. Il sera illusoire de ne donner la parole qu’à leurs chefs de file car les affiliations constituées, pour beaucoup dans l’urgence, ne seront souvent que des affiliations de circonstance. De ce fait, la campagne électorale sera, si l’on n’y prend garde, une campagne locale au cours de laquelle les électeurs vont découvrir les hommes et les projets en même temps, sans avoir ni le temps ni la possibilité d’évaluer de manière suffisamment précise la pertinence des propos et leur crédibilité. Il y aura donc une prime au populisme soit en direction d’un très grand conservatisme soit en direction d’un discours de rupture radicale. En un mot, le désert politique que nous avons connu favorise aujourd’hui une montée des extrêmes. Il sera donc très difficile d’y voir clair dans les objectifs des uns et des autres et cette absence de clarté constituera une incitation au populisme.

Quel mode de scrutin vous semble le plus pertinent ?

Pour ma part, je serais favorable à ce que le mode électoral retenu soit à même de conduire à un débat national et non pas uniquement à une collection de débats locaux. Le débat national permet de mieux identifier les enjeux et de mieux comprendre la nature des réponses proposées. Il laisse également le temps à la confrontation et également, lorsqu’il est bien préparé, à l’analyse. Il est donc moins manipulable. Les débats locaux doivent également se tenir mais ils ne sauraient, à eux seuls, être les garants d’une démocratie sincère, sincère en ce qu’elle reflète la volonté profonde des citoyens en limitant les possibilités de manipulation démagogiques.

Comment instaurer un tel débat national que vous semblez appeler de vos vœux ?

Il nous faut donc mettre en place un système qui permette un débat à deux niveaux : un débat national autour du socle de valeurs auxquelles nous voulons adhérer pour les années à venir et un niveau local pour prendre en compte les spécificités régionales. Les régions sont appelées à jouer, j’en ai la ferme conviction, un rôle déterminant dans les années à venir. Il ne faut cependant pas se tromper d’instance. L’élection envisagée est avant tout celle d’une Constituante et non d’un Parlement. Il s’agit avant tout de construire un système national et non pas de défendre et de promouvoir des intérêts locaux ou régionaux. Bien sûr le système national à construire devra respecter les régions et probablement leur donner une place plus grande et il faudra que ces valeurs soient portées par ceux qui sont les plus concernés par ces questions, mais l’enjeu n’en demeure pas moins un enjeu de règles du jeu nationales à mettre en place. C’est pour cela que le débat national me semble essentiel. Pour l’instaurer, je vois essentiellement deux solutions.

Une première option consisterait à élire tout ou partie des membres de la Constituante sur la base de listes nationales. C’est-à-dire faire en sorte qu’une grande partie des sièges soit attribuée dans le cadre d’un système électoral à une seule circonscription, la Tunisie tout entière.

Dans tous les cas, et à même de limiter les listes à un nombre raisonnable, il faudrait imposer que pour présenter une liste il faut être en mesure d’obtenir un nombre minimal de signatures de soutien de personnes disposant du droit de vote. Les très nombreux partis reconnus ou en cours de création ont, a priori, tous vocation à participer à la vie politique de notre pays pour les décennies à venir. En revanche, exister et affirmer sa spécificité dans le long terme n’empêche pas de penser en termes de plate-formes et d’alliances en vue des élections imminentes. Ce point est crucial car il est lié à celui du financement équitable de la campagne électorale. Toutes les listes devraient recevoir un soutien équitable de l’Etat mais il faut pour cela que ces listes soient suffisamment représentatives et en nombre raisonnable. Le soutien de la liste par un nombre minimal d’électeurs peut alors constituer une réponse adéquate à cette problématique.

Afin d’éviter l’éparpillement des sièges au sein de la Constituante, il faudra également et très probablement mettre des seuils en dessous desquels une liste ne peut se voir attribuer de siège. Un seuil de 3 à 5% me semble raisonnable.

Une autre solution qui peut sembler plus étrange mais qui n’en mérite pas moins d’être énoncée, consiste à faire précéder l’élection de la Constituante par une élection présidentielle, disons quinze jours avant. Rien dans ce qui a été dit jusqu’à présent n’interdit une telle option. Indépendamment de la question des pouvoirs qui seraient attribués à ce président, l’élection présidentielle focalise l’attention sur un nombre limité de candidats et permet la comparaison des programmes et l’analyse de la crédibilité des discours. Une élection de type présidentiel favorise ainsi le consensus dans de larges sous-groupes de la population. Le simple fait que les débats pour une telle élection aient lieu à une échelle nationale permet de faire émerger les points clés et de polariser les débats autour des vraies questions de société. Le débat est national et le populisme peut être alors plus facilement démasqué.

Quels sont les risques liés à un éparpillement des sièges ?

Lorsque les partis représentés sont trop nombreux, ils n’ont alors d’autre objectif que de conserver chacun un bout de pouvoir dans l’après-Constituante. Lorsque l’on demande à un groupe de définir les règles du jeu de ce qui va lui succéder, il est naturel qu’il tente de maintenir les règles qui l’ont amené au pouvoir. L’issue logique des débats est alors un régime parlementaire et un mode électoral favorisant à son tour cet éparpillement. C’est-à-dire un système politique dans lequel les majorités de gouvernement sont très instables, les coalitions mouvantes, le poids des extrêmes renforcé même si elles sont minoritaires car elles auront alors la possibilité de menacer la coalition majoritaire de leur défection. Nous rentrerions alors dans une période de turbulences et d’instabilité pour plusieurs années, voire des décennies.

Vous semblez vous méfier du régime parlementaire, pourtant de nombreux pays l’ont adopté et s’en portent très bien…

Le régime parlementaire est particulièrement bien adapté dans un pays où 2 à 3 partis rassemblent à eux seuls une large partie de la population. Des alternances peuvent alors se mettre en place avec des périodes de stabilité suffisamment longues pour pouvoir conduire une politique cohérente. Car il ne faut pas oublier que la démocratie, ce n’est pas tout soumettre au vote. La démocratie n’est pas qu’une question de représentativité des élus, elle est aussi une question de gouvernance. Elle doit conduire à un système capable de mener une politique cohérente. Si chaque décision devait être soumise au référendum (à supposer que cela soit possible), ce serait le meilleur moyen d’avoir une politique sans cohérence aucune. Que chacun d’entre nous essaye dans son petit cercle familial, amical ou professionnel de soumettre toute décision au vote et il verra que la majorité étant par essence fluctuante en fonction des questions à traiter, le résultat de ce mode de gouvernance sera catastrophique. La démocratie, c’est avant tout organiser l’alternance et une stabilité politique suffisante de manière à garantir la cohérence sur des périodes raisonnables. Bien sûr la démocratie, ce sont aussi les contre-pouvoirs, les libertés… questions toutes d’une importance éminente, mais je me suis limité ici aux questions liées au régime politique et aux modes électoraux.

Oui mais le régime présidentiel ne comporte-t-il pas, de manière intrinsèque, le risque de la dictature?

N’oublions pas que le régime parlementaire a permis notamment l’émergence d’Hitler et de bien d’autres dictateurs; le régime présidentiel a permis l’émergence de Ben Ali. Ce n’est pas le régime qui fait la dictature mais l’absence de contre-pouvoirs et la question des contre-pouvoirs me semble bien plus importante que celle de la nature du régime. Bien sûr, nous ne voulons plus d’un régime comme celui que nous avons connu mais l’alternative n’est pas entre Ben Ali, d’une part, et un régime parlementaire, d’autre part. Des régimes de type semi-présidentiel avec des procédures d’impeachment à l’américaine et de vrais contre-pouvoirs pourraient constituer, dans le contexte tunisien, un compromis idéal.

Quels vont être les pouvoirs de la Constituante ?

La Constituante aura très probablement deux fonctions. Elle devra tout d’abord, bien sûr, proposer une Constitution qui devra ensuite, si l’on veut respecter jusqu’au bout la volonté populaire, être soumise à référendum. Il s’agira là d’ailleurs d’une différence de taille avec la précédente Constituante que notre pays a connue.

Elle devra également jouer le rôle d’une Assemblée législative pendant toute la période où elle aura à siéger. Rien n’a été dit jusqu’à présent sur le régime de gouvernement tout au long de cette période. Est-ce à la Constituante elle-même de le définir ? Elle dispose déjà du pouvoir de définir le régime qui lui succédera et celui de légiférer tout au long de sa propre existence. Faut-il lui laisser également le pouvoir de définir son propre rôle et les limites de son propre pouvoir ? N’est-ce pas là un privilège exorbitant ? Ne faudrait-il pas demander à l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique de définir le cadre et les limites du mandat de cette Constituante. Tout d’abord le limiter dans le temps car il n’est pas dans l’intérêt du pays que l’élaboration de la future Constitution s’étale sur une trop longue période. Il faut bien sûr laisser le temps à la réflexion, à la négociation et à l’émergence du consensus le plus large possible, mais il faut éviter l’instabilité politique et économique inhérente à toute période de transition. De ce point de vue, 6 mois semblent être un grand maximum.

Quel autre rôle devrait jouer selon vous cette Instance supérieure ?

Lors de la précédente Constituante, en 1956, la Tunisie disposait déjà d’un président (même s’il ne l’était pas en titre, Bourguiba en avait et la stature et l’indiscutable légitimité) et tous les sièges de la Constituante étaient détenus par le Néo-Destour. Il a fallu cependant 3 ans à cette Constituante pour produire un texte ! Si l’on souhaite éviter que les débats ne s’enlisent, il faut être en mesure de les polariser autour de quelques options. Quelles sont nos valeurs nationales, quel est le socle constitutionnel, quels sont nos acquis que notre nouvelle Constitution se doit de préserver ? D’autre part, quels sont les grands choix à opérer? Voulons-nous un régime parlementaire, présidentiel, semi-présidentiel ? Quels contre-pouvoirs ? Puisqu’Ennahdha prône le modèle turc, faut-il inscrire la laïcité dans la Constitution pour qu’Ennahdha puisse être, comme elle semble le souhaiter, l’AKP tunisien ?

Il me semble que l’Instance supérieure devrait préparer les débats de la Constituante pour faciliter son travail et rendre le délai de 6 mois réaliste. Elle devrait identifier les points de clivage clés dans l’élaboration d’une Constitution. Quelles sont les valeurs de notre République ? Quel régime ? Quels pouvoirs du Président ? Ces points devraient être livrés très rapidement au débat public pour que chaque parti puisse se positionner très vite sur ces questions. Que l’on puisse, en quelque sorte, déterminer l’ADN de chaque parti et demain de chaque liste et que les partis, à leur tour, puissent décider de former une plate-forme commune avec ceux qui partagent leur ADN.
(La Presse du 22 mars 2011)

dimanche 20 mars 2011

Conférence débat : Démocratie, Efficience et Choix Constitutionnels (MSB) animée par Mrs Mansour MOALLA, Riadh BEN JELJLI

par Mohamed Chawki Abid, jeudi 17 mars 2011, 22:09
Objectif de la Conférence :  Clarifier les concepts de démocratie, efficience et choix constitutionnels, pour faciliter les options en réduisant les confusions à un moment crucial de la Tunisie. (MSB 17/03/2011)

Les intervenants ont partagé leurs analyses sur nombre de questions, dont notamment :
1) Existe-t-il une stratégie de transition démocratique applicable universellement ?
2) Comment définir les contours de la transition démocratique en Tunisie ?
3) Y-a-t-il un choix constitutionnel supérieur à tous les autres ?
4) Quels sont les atouts dont dispose notre société et les difficultés que nous rencontrerons lors de cette transition ?
5) Comment peut-on expliquer les liens entre démocratie politique et prospérité économique ?
6) Quel(s) calendrier(s) pour une transition démocratique réussie ?

La note de présentation de cette conférence débat mentionne que la transition démocratique désigne l’analyse du processus politique caractérisé par un passage progressif du despotisme ou de la dictature à la démocratie.

Elle comprend deux phases à distinguer:
• la transition politique, désignant le passage d’un régime à un autre, et
• la consolidation de la démocratie dans un souci d’assurer une stabilisation du processus.


I – Démocratie efficiente et Choix institutionnel : par Pr Mohamed Outeïl DHRIF

1. Régime Présidentiel :
-pouvoir exécutif concentré sur le Président, lui-même chef du gouvernement composé de secrétaires d’état (le seul pays utilisant de régime est les USA)
-pouvoir législatif détenu par la chambre des représentants
-ce régime semble être invivable en dehors des USA. Les tentatives de son exportation vers les pays de l’Amérique latine ont abouti à des dictatures.
==> Ce mode semble être exclu de la majorité du peuple Tunisien, ce qui est confirmé par tous les partis exprimés.

2. Régime Parlementaire :
a) Modèle Moniste : RU, Italie, Autriche, Israël, …
•Le parlement, élu au suffrage universel, détient le pouvoir législatif
•Le Président de la République est élu par le parlement
•Le Monarque ou Le Président de la République règne sans gouverner (fait partie du décor)
•Le gouvernement est dérivé de la majorité parlementaire, et détient le pouvoir exécutif
•Finalement le pouvoir législatif est aux ordres de l’Exécutif
•Ce système présente des insécurités, notamment en cas d’émergence de partie à forte majorité relative (30% par exemple) avec des partis émiettés : cas d’une concentration constitutionnelle des pouvoirs
==> Ce modèle moniste est difficilement adaptable à la Tunisie.
b) Modèle Dualiste : Portugal, Russie, France en cas de cohabitation… (dualité de la Gouvernance)
•Le Président de la République est élu au suffrage universel, possède un pouvoir négatif (révoque le gouvernement, dissout le parlement, émet un véto contre un projet de loi, …)
•Le Parlement, élu au suffrage universel, détient le pouvoir législatif
•Le Gouvernement est dérivé du Parlement, détient le pouvoir exécutif
•Le Pouvoir est réparti entre l’Exécutif et le Législatif, d’une manière équilibrée
•Le Gouvernement est responsable vis-à-vis du Président de la République et du Parlement
•Le Gouvernement est punissable + révocable
==> Ce mode semble répondre aux aspirations de la majorité des Tunisiens.


II – Proposition d’un scénario adapté à la Tunisie : par Mr Mansour MOALLA

"C'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites" Montesquieu.

Il y a lieu de souligner que, dans son interview donnée à Leaders le 26/01/2011, Monsieur Mansour MOALLA s’est penché du coté du Parlementaire Dualiste. http://www.leaders.com.tn/article/mansour-moalla-meme-s-il-reste-le-gouvernement-doit-bouger-pour-montrer-la-sortie-de-crise

Clairement, il rejette le régime présidentiel qu’il qualifie de Système d’Irresponsabilité Généralisé : le Président concentrant le régime entre ses mains, le Parlement n’a pas de pouvoirs, le Gouvernement n’est qu’un organe technique. En effet, c’est un système ne permettant aucun contrôle concomitant du Président  pendant son mandat. La seule sanction possible est soit le coup d’Etat soit la Révolution.

Les Recommandations de Monsieur Mansour MOALLA (avant et après le 24 Juillet) se résument comme suit :

1)Fixer à l’Assemblée Constituante un dead line pour promulguer le Destour sans dépasser fin 2011
2)Donner à l’Assemblée Constituant le caractère de ‘‘Législative et Politique’’, pour éviter de fonctionner par décret présidentiel. Le pouvoir législatif lui permet de légiférer, et le pouvoir politique pour désigner un gouvernement.
3)Organiser concomitamment les élections municipales pour renouveler les conseils municipaux, devenus non représentatifs
4)Désigner par l’Assemblée Constituante un Président de l’Assemblée, et lui confier le rôle du Président de République jusqu’à promulgation du Destour, au terme de laquelle des élections présidentielles pourront avoir lieu (en cas de régime parlementaire dualiste)
5)Prévoir dans le code électoral des modalités anti-dispersion de l’Assemblée pour favoriser l’émergence d’une majorité cohérente, suffisante et stable permettant la constitution d’un gouvernement homogène et efficace.
Dans ce contexte, le code électoral devrait encourager le rapprochement des ‘‘micropartis’’ pour former 3 à 4 groupements ou alliances correspondant aux tendances traditionnelles. Dans cette perspective, deux types de modalités anti-émiettement sont envisageables : inaccessibilité à l’Assemblée si le résultat au scrutin est en deçà d’un taux à convenir (5% par exemple), ou recours à des critères subjectifs de notoriété (nombre d’adhérents, ancienneté, …). Aussi, le scrutin uninominal à 2nd tour ne serait-il pas le mieux adapté pour la formation d’une Constituante chargée de confectionner le Destour de la 2ème République. En effet, il a le mérite de favoriser l’émergence d’une majorité fiable, renfermant des personnalités n’ayant pas de colorations politiques.

Afin de ne pas aboutir à une Assemblée Constituante ingouvernable, le principal défit à relever par le Gouvernement Transitoire consiste à veiller à la préservation de la transparence et à la neutralisation des manipulations pouvant avoir lieu avant et pendant le scrutin. En effet, son objectif ne se limite pas à élire une Assemblée Constituante, mais consiste également à doter le pays d’un gouvernement représentatif, capable d’affronter tous les problèmes de redressement socio-économique.


III – Comment concilier la Transition démocratique et le Développement économique : par Mr M. MOALLA

L’économie et la Démocratie sont intimement liées. Un système autoritaire non démocratique ne permet point d’avoir un développement économique durable. La démocratie est la condition de progrès politique et économique.

Une croissance économique sans liberté, conduit à l’injustice et à la corruption, et finit dans la décadence. En revanche, une démocratie sans développement économique, entraine une perte progressive de liberté, et aboutit à une dictature.

L’exemple de la Corée a été cité, par le fait que son PNB/Hab’1960 était similaire à celui de la Tunisie : 160 $US.

Le Gouvernement légitime (à partir du 24/07/2011) se chargera de résoudre 3 grands problèmes :
1)Aggravation du chômage, notamment le chômage des diplômés (150.000 à 200.000), d'où une urgence d'inverser la tendance par la promotion de l'Emploi
2)Divorce entre le Système Éducatif et le Système Économique, problème à soigner par une meilleure adaptation de la formation des jeunes aux besoins de l’Entreprise. Il faudrait créer des universités vivantes, indépendantes et incitatives, accompagnant l’économie nationale. Le challenge consiste à former des jeunes employables.-
3)Baisse importante du taux de croissance Économique aggravée par une stagnation des investissements. Après avoir représenté 30% du PIB en 1970-1980, les investissements ne pèsent plus que 22%.

Il s’agit de 3 Problèmes interdépendants qui pourraient être résolus rapidement si on libérait les énergies humaines.

En outre, il faudrait s'atteler à rééquilibrer la balance courante (-1 Md TND) aggravée par une échéance annuelle du principal de dette de 2,5 Md TND, et un besoin pressant d'amélioration des réserves de change. Pour ce faire, nous gagnerions à redresser le secteur touristique (par une maîtrise des marchés émetteurs: création d'organismes commerciaux) et à améliorer les exportations (notamment les activités manufacturières et NTIC).

vendredi 18 mars 2011

Préservez cette nouvelle liberté, Jean Daniel (webmanagercenter).

  • Par Ali Abdessalem (webmanagercenter)
  • Reconquérir la souveraineté populaire et respirer enfin l’air de la liberté. Mais d’abord, veiller à préserver cette liberté.
    Samedi 12 mars2011, Jean Daniel était l’invité de Hélé Béji, au Collège International de Tunis, tribune qui lui est familière et qu’il retrouve pour la quatrième fois. Ce dernier déplacement vaut engagement personnel, de sa part, en faveur de la Révolution de la dignité. Il l’a déjà ralliée dès les premières heures en interrompant la rédaction d’un livre en cours. Et il l’a tôt saluée par deux éditos enthousiastes. Cette révolution a charmé, par sa vertu, soutient-il, faisant part de son sentiment propre et de celui des amis de la Tunisie. Mais elle est encore vulnérable, prévient-il, car elle n’a pas encore tracé d’itinéraire.
    Jean Daniel est venu verser son tribut à la Révolution en contribuant à l’effort collectif des Tunisiens pour l’exploration des perspectives démocratiques. La Tunisie respire enfin l’air inestimable de la liberté. Et, il rappelle qu’il faut savoir ne pas la laisser nous filer entre les mains. Il y a en effet risque d’éparpillement, et peut-être même de déviance, car la contre révolution guette!
    Un jour, il y aura un prix Hélé Béji comme il existe un prix Hannah Arendt. Et ce ne sera que justice, en regard de cette ferveur militante. Et d’ailleurs, cette ferveur est communicative et l’intervention de Jean Daniel en était toute emprunte. Jean Daniel, avec la «nonantaine» lucide et leste -Tbarkallah- est la mémoire du monde contemporain, dans la profession. Le doyen de la presse francophone, ex-æquo avec Jean d’Ormesson, a vécu les nombreux hoquets de l’histoire et de la politique de notre temps, aux premières loges. Et cela le maintient toujours en état de relativisation, de même qu’il l’a précisé lui-même.
    La voie de la non violence, l’honneur immaculé de la Révolution

    La Révolution tunisiennes a su se protéger des démons de la violence, même si l’immolation de Mohamed Bouazizi a été vécue par les Tunisiens dans leur chair, et Jean Daniel n’y a pas échappé, lui qui a versé le prix du sang, se blessant alors qu’il couvrait les péripéties de la guerre d’évacuation à Bizerte en 1960. De même, elle s’est gardée de la chasse aux sorcières et de la vindicte. Elle n’a pas versé dans l’épuration à tout va, laissant la justice faire son œuvre. Cette démarche est noble. Elle témoigne du haut sens de l’histoire chez le peuple tunisien. Cette révolution vertueuse, délibérément, n’a pas été mangeuse d’hommes.
    Jean Daniel insistait particulièrement sur cet aspect car tous les amis de la Tunisie pariaient sur notre sens du civisme. Et, Jean Daniel de rappeler que c’était là le choix de tous les gagnants de l’histoire en rappelant la controverse qui opposait Nehru à Ghandi, si attaché à la non violence par conviction. Et, par choix tactique car la non violence divise le camp ennemi et les défenseurs de la liberté finiront par faire dissidence et rejoindront la juste cause. Ghandi a ainsi triomphé du colonialisme britannique comme la Tunisie du mouvement national a fini par diviser la classe politique française faisant émerger Pierre Mendés France. C’est lui qui a initié le mouvement de la décolonisation qui a fait du bien, autant à la Tunisie qu’à la France.
    La liberté et ses contingences
    Cette «expérience» tunisienne, Jean Daniel la possède sur le bout des doigts, lui le compagnon de Habib Bourguiba, team leader des militants de l’indépendance et père de la Nation. Le journaliste, témoin de notre époque, considère que le code génétique de la Tunisie moderne porte un trait d’individualité remarquable. D’abord, par ses réalisations au plan national et ce jusque dans le choix des concepts. Tel celui de l’émancipation de la femme et de la société tunisienne. Que par ses repères au plan des relations internationales. Cela est le cas pour la position de la Tunisie face au courant du Non Alignement, jusque dans sa solution du conflit israélo-palestinien, et le discours de 1965 de Bourguiba à Jéricho reste un référentiel encore d’actualité.
    Par-dessus tout, Jean Daniel fait une grande place au concept de gradualisme, c'est-à-dire cette démarche de progressivité qui a marqué la méthode tunisienne en politique. Et le conférencier de rappeler que les Tunisiens ont conservé ce réflexe.
    A présent qu’ils ont payé le prix de la liberté, par la vie des martyrs de la Révolution, il faudrait qu’ils s’apaisent pour garder cette liberté et pour piloter le chantier démocratique. La liberté, ils la respirent pour la première fois. Bourguiba leur a offert un destin, mais pas la liberté. Lui, «l’élu» de la nation se sentait une âme «d’instituteur» et il est vrai que Bourguiba savait y faire avec le peuple et était doué pour la pédagogie, en politique.
    Mais le despote éclairé n’a pas su lâcher du lest, bloquant la trajectoire démocratique qui devait fatalement déboucher sur l’alternance. Il s’est refusé à cette option et la lumière céda la place à l’arbitraire. On connaît la suite. Tout le travail, à présent, sera de préserver cette liberté, dans les dédales du nouvel édifice démocratique qu’il faudra concevoir et mettre sur pied.
    Le pari de Hegel pour un Etat Fort
    La liberté, insistait Jean Daniel, est toujours sujette à contingences. On ne sait pas ce qui peut arriver, quand on évolue sur un terrain démocratique que nous découvrons pour la première fois. Les courants politiques trustent le champ public et fragmentent le socle de l’opinion nationale. Jusque-là le pays a eu à se prononcer sur des questions fondamentales, telles l’éducation publique et gratuite, la santé, la circonscription populaire pour l’armée, etc.; demain, l’irruption des partis va faire apparaître des clivages qui vont fragmenter le front populaire. Il y aura des militants qui vont se mobiliser pour leurs idées politiques. On pense que le débat d’idées va éclipser le débat national, le seul qu’on ait pratiqué mais c’est celui qui a conforté notre unité nationale, éliminant par la même la lutte des classes et le régionalisme.
    Le premier parti de Tunisie a été le corps de l’administration. Hélas, nous n’avons pas su le prémunir de la bureaucratie. Il a été facile à l’oligarchie mafieuse de l’instrumentaliser. Mais la particularité tunisienne, semblait dire Jean Daniel, est que le collectif des vertueux du corps de l’Administration a résisté aux forces du mal et le pays a fonctionné y compris sous la dictature.
    De son extrême délicatesse, et de sa prudence professionnelle, le conférencier a parlé du devenir de la révolution en termes allusifs. C’est au détour d’une anecdote savoureuse qu’il a distillé un message pertinent. Au cœur de la crise de mai 68, Raymond Aron, fidèle au camp du Général De Gaulle, voulait faire raison garder à Michel Foucault, rangé à la dynamique de la contestation l’invitant à «rester Hégélien et de ne pas piétiner le lustre de l’Etat». Et l’Etat tunisien est notre réalisation la plus précieuse. L’Assemblée constituante devra en tenir compte. Un Etat fort, cela donne des indications précises sur l’édifice démocratique à mettre en place pour l’avenir. Une option parlementariste nous exposerait aux vents mauvais des extrémismes de tous bords. D’autant qu’on les voit s’activer à prendre la place de l’Etat pour assurer des prestations sociales qui leur procurent une proximité populaire qui pourrait demain être un levier redoutable la veille des scrutins.

dimanche 6 mars 2011

Aide aux réfugiés de Ras Jdir

- Rim Ben Salah volontaire Unicef, sur place à Ras Jdir demande à toutes les personnes prêtes à donner leur aide à se tenir prêtes pour les prochains jours. Il y a un grand nombre de réfugiés sur place.
- Il faut également arréter momentanément les convois de nourriture, car les excès risquent d'être pourvoyeurs de maladies étant donnéla quantité de déchets que cela génère. Il est préférable de garder ces collectes à Tunis pour les envoyer plus tard.

A diffuser SVP

samedi 5 mars 2011

Tunisie : Régime parlementaire ou semi-présidentiel comprendre pour choisir - Samy Ghorbal. Leaders.


L'article a été rédigé par Samy Ghorbal, qui a longtemps été journaliste chez Jeune Afrique. Il connait très bien la Tunisie de par sa naissance mais aussi de par toutes les enquêtes qu'il y a mené durant les années Ben Ali.

Cet article est très instructif car il explique les différents mécanisme du régime parlementaire et semi présidentiel tout en donnant quelques conclusions sur le devenir de la Tunisie selon le régime choisi.
Bonne Lecture

Sanda Salakta (Blog: Au fond de mon jardin)

Le régime parlementaire

il se caractérise par le rôle prédominant du Premier ministre, qui exerce la réalité du pouvoir exécutif. Le chef de l’Etat est, le plus souvent, purement honorifique.
Les ministres et le chef du gouvernement (l’exécutif) rendent régulièrement des comptes au Parlement (le législatif) et peuvent être interpellés et placés dans l’obligation de se justifier. Ou de se démettre. En contrepartie, le gouvernement peut recourir au droit de dissolution du parlement.
Le régime parlementaire est en vigueur en Espagne, Pays-Bas, Danemark, Suède et Norvège qui sont des royaumes, et au Japon qui est un empire. En réalité, l’Italie et l’Allemagne sont, les seuls exemples de grandes « républiques parlementaires ». Cette singularité s’explique par les traumatismes du fascisme et du nazisme, qui ont amené Ies italiens et Allemands à éviter d’instituer un président fort.


Le système parlementaire pratiqué au Royaume-Uni et en Allemagne permet une remarquable stabilité gouvernementale. En revanche, la France des IIIème et IVème Républiques, et l’Italie, depuis 1948, ont vu les gouvernements se succéder à des rythmes effrénés. Dons l’instabilité ministérielle (ou gouvernementale) constitue le défaut le plus visible du parlementarisme.
Pour quelles raisons ?
Les conditions pour qu’un régime parlementaire fonctionne correctement sont au nombre de deux:

1- un système de partis cohérent :
Pour gouverner efficacement, un Premier ministre doit s’appuyer sur une majorité stable. Or plus le nombre de partis représentés au Parlement est important, et plus faibles seront les chances de voir se dégager une majorité cohérente. C’est parce que le jeu politique britannique se résume pour l’essentiel à un jeu de bascule entre deux grands partis antagonistes, les travaillistes et les conservateurs, que le système britannique a produit de si bons résultats sur la durée. Ceci, est également valable pour l’Allemagne, où les partis de gouvernement sont quatre mais fonctionnent traditionnellement par couples de deux (Sociaux-démocrates et Verts, Chrétiens-démocrates et Libéraux). A l’inverse, la multiplication des partis politiques oblige le leader du parti arrivé en tête aux élections à avoir recours à des marchandage sordides avec les dirigeants des grands partis et des petites formations pour obtenir son investiture et former un gouvernement de coalition, par la suite il vivra en permanence sous la menace de défections qui le priveraient de majorité. Il sera dans l’impossibilité de procéder aux réformes. C’est par exemple le cas en Israël, où les cabinets successifs sont, depuis une quinzaine d’années, otages des ultra-orthodoxes du Shass…

2- un mode de scrutin adéquat.
Le 1er mode est le scrutin proportionnel intégral : plus équitable car chaque parti sera représenté au parlement à la mesure de son poids électoral. Mais il entraîne la fragmentation politique et engendre des gouvernements de coalition faibles et instables (comme cela été expliqué plus haut).
Le 2ème mode est le scrutin majoritaire : Il y a deux variantes :
Le scrutin majoritaire à un tour : ll permet de dégager des majorités donc un gouvernement stable, mais peut provoquer de très fortes distorsions dans la représentation.
Le parti arrivé en tête le soir de l’élection est déclaré vainqueur s’il obtient le pourcentage de votes le plus haut même si ce pourcentage est inférieur à la majorité absolue (51%).
Par exemple si trois partis sont en course : si l’un d’eux obtient 40% des voix et les deux autres 30% chacun, c’est le parti qui a obtenu 40% qui obtiendra 80% des sièges au parlement.
Le scrutin majoritaire à deux tours : pratiqué en France, est moins brutal que la variante anglaise. Et il a le mérite d’incite les partis à négocier entre les deux tours de scrutin pour faire des coalitions. Le grand handicap du scrutin majoritaire est qu’un parti politique important peut être privé de représentation nationale. Par exemple si trois partis sont en course : si l’un d’eux obtient 40% des voix et les deux autres 30% chacun, c’est le parti qui a obtenu 40% qui obtiendra 80% des sièges au parlement. Par contre si les deux partis qui ont obtenus 30% chacun font coalition au deuxième tour alors c’est eux qui vont obtenir 80% des sièges au parlement alors que le parti qui a obtenu le score le plus haut n’obtiendra que 20% des sièges.
Le régime semi-présidentiel, ou « mixte » : un compromis efficace

Il constitue aujourd’hui le modèle le plus répandus dans beaucoup de pays. Le risque dérive présidentialiste est la principale critique de ce système. Il peut cependant être efficacement contrebalancé par les mécanismes institutionnels et politiques qui seront détaillés et ce régime dispose d’une qualité essentielle : il permet d’éviter les risques de blocage récurrent de l’action du gouvernement par un parlement hostile comme dans le régime parlementaire.

Le premier modèle envisageable est celui des états unis. Le président est le chef de l’exécutif et tire sa légitimité de son élection au suffrage universel. Il doit composer avec une assemblée législative (le congrès) qu’il n’a pas le droit de dissoudre et avec une justice indépendante. Une cour suprême, appelée aussi parfois tribunal constitutionnel, est instituée pour arbitrer les conflits qui peuvent surgir entre l’exécutif et l’assemblée législative (le congrès) sur l’étendue de leurs pouvoirs respectifs. Ce tribunal constitutionnel, organe de régulation fondamental du système, contrôle aussi la conformité des lois élaborées par l’assemblée à la Constitution.

Le système en vigueur en France depuis 1958 est une autre variante du régime semi-présidentiel ou « mixte ». Il se caractérise par un exécutif à deux « têtes », qui comporte un président et un Premier ministre, nommé par ce dernier, mais responsable devant le Parlement à qui il doit rendre des comptes lui et tous les ministres de son gouvernement. Le président dispose d’un pouvoir de nomination étendu, car il tire sa légitimité directement du peuple, qui l’élit au suffrage universel. Les députés de l’assemblée sont élus au suffrage universel direct. Pour être élu dès le premier tour, il faut obtenir la majorité absolue, (supérieur ou égal à 51%). Si aucun candidat n'y parvient, il y a lieu à un second tour de scrutin auquel ne peuvent se présenter que les candidats ayant obtenu au premier tour un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % des électeurs inscrits. Pour être élu au second tour, la majorité relative suffit : l'emporte donc le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages.
Le nombre de députés varie selon le nombre d’habitants dans chaque région. Plus une région est peuplé plus elle a des députés qui la représentent. L’assemblée se renouvelle intégralement, tous les cinq ans.
Les députés du sénat (sénateurs) sont élus au par des collèges électoraux composés de personnes elles-mêmes élues au suffrage universel (conseillers régionaux, conseillers généraux, délégués des conseils municipaux, etc.). Les sénateurs sont élus pour six ans, avec un renouvellement par moitié, tous les trois ans.
Le parlement est composé de deux chambres l'assemblée nationale désigne la chambre basse, par opposition à la chambre haute ou sénat. L’assemblée et le Sénat ont un rôle législatif, mais en cas de désaccord entre elles sur un projet de loi, c'est l'Assemblée qui a le dernier mot. En outre, elle a seule le pouvoir de renverser le gouvernement.

Les Rôles de l'Assemblée sont:
Voter les lois avec le Sénat,
Contrôle de l'action gouvernementale :
- vote des questions de confiance sollicitées par le gouvernement,
- vote de motions de censure contre le gouvernement...
Modification de la Constitution.
Si une révision constitutionnelle n'a pas lieu par referendum, elle doit être votée à la fois par l'Assemblée nationale et par le Sénat.

Le Parlement dans ce régime est une instance législatrice, et le Gouvernement avec à sa tête le président est l’organe d’exécution. La justice conserve son indépendance.
La qualité première du régime présidentiel à la française réside dans le fait qu’il prend en compte le critère de l’efficacité. Le président élu, conserve même en cas de blocage avec le parlement quand ce dernier est composé d’une majorité de députés appartenant aux partis de l’opposition, les moyens constitutionnels d’assurer la continuité de l’Etat pour lancer les réformes économiques et sociales. La dissolution de l’assemblée par le président est possible en cas de blocage et après avis du Sénat et elle apparaît comme la contrepartie de la possibilité pour les députés de l’assemblée de renverser le gouvernement par le biais de la motion de censure. Par contre le président ne peut pas dissoudre le sénat ce qui permet de garder un contre pouvoir au gouvernement même après dissolution du sénat.


Quelles institutions pour la Tunisie démocratique ?

Chaque système présente des avantages et des inconvénients.
Alors, comment choisir ?
Tout simplement en essayant d’imaginer la solution la moins mauvaise compte tenu de l’équation politique tunisienne. Le régime parlementaire a aujourd’hui le vent en poupe. Mais c’est une solution très difficile à appliquer pour la Tunisie dans le contexte actuel car nous avons vu que pour fonctionner, le régime parlementaire suppose la réunion de deux conditions : un système de partis cohérent et un mode de scrutin adéquat. Or ces deux questions ne seront pas simples à résoudre et donneront lieu à des affrontements vigoureux, à des polémiques passionnées entre les partis politiques. Supposons malgré tout que l’on parvienne à trouver des réponses satisfaisantes. Reste un second problème, plus aigu encore : l’absence de partis politiques réellement représentatifs du peuple tunisien c'est-à-dire d’organisations possédant des orientations bien arrêtées, des militants et des cadres, et des ramifications dans l’ensemble de la société et sur l’ensemble du territoire :
Le PDP compte entre 1000 et 2000 militants
Ettajdid sans doute deux fois moins.
Les destouriens rénovés d’Al Watan regroupés derrière Mohamed Jegham et Ahmed Friaa. Combien sont-ils, sont-ils du côté de la Révolution, ou aspirent-ils à une restauration de l’ancien régime sous un autre nom?
Une seule certitude : Ennahda est la seule formation tunisienne présentant un mouvement de masse.
Ce n’est pas un hasard si c’est aussi la seule à avoir exprimé franchement sa préférence pour le régime parlementaire. Car elle aurait tout à y gagner.
Dans ces conditions, si demain, des élections législatives étaient organisées, la nouvelle chambre serait un magma extrêmement fragmenté, avec une multitude de partis représentés incapables de dégager une majorité parlementaire solide et stable? Le risque serait grand que le pays s’englue dans une crise politique interminable avec une paralysie des institutions. Or de profondes réformes économiques et sociales doivent être mises en œuvre, de toute urgence. Il faut un exécutif solide et cohérent qui soit en mesure d’impulser ces réformes, car qu’adviendra-t-il sinon ? La désespérance du peuple, qui fera le jeu des extrêmes.

La solution la meilleure, la plus facile à mettre en œuvre et la plus efficace au regard des données actuelles de la scène politique tunisienne est le régime semi-présidentiel ou mixte, dont le professeur Yadh Ben Achour parlait dans ses premières interviews et qui présente l’avantage de concilier les exigences d’efficacité et de démocratie.
Bien entendu, nos institutions ne pourront être conservées en l’état. La séparation des pouvoirs législatif et exécutif devra être renforcée et les modalités de contrôle du Parlement sur le travail de l’exécutif renforcé.
Le chef du gouvernement doit pouvoir rendre des comptes sur son action. Et le cas échéant, être renversé par une motion de censure.
Chacun serait dans son rôle : le Parlement, dans celui d’une instance législatrice, et le Gouvernement dans celui d’organe d’exécution. Le président élu, véritable chef de l’exécutif, aurait, même en cas de crise ou de blocage avec l’assemblée, les moyens constitutionnels d’assurer la continuité de l’Etat. Et politiquement, même s’il ne possède pas la majorité à la chambre, il aurait toute la légitimité pour lancer les réformes économiques et sociales que le pays attend. Car ne nous y trompons pas : l’urgence, c’est les défis sociaux !

Le régime semi-présidentiel est donc la solution la plus réaliste et démocratique compte tenu du contexte actuel.

Pour en savoir plus
Sources :
Article publié par Samy Ghorbal dans Leaders le 1/3/2011
Wikipédia
Site officiel de l’assemblée nationale française
Site officiel du sénat français

Les Tunisiens réinventent la République. Paul Allies. Mediapart.


En 24 heures la révolution démocratique a fait un nouveau bond en avant à Tunis. Les deux seules autorités en place, le président de la République par intérim Foued Mebazaä et le Premier ministre Béji Caïd Essebsi ont successivement, ce jeudi soir et vendredi matin, ratifié la mise en route du processus que beaucoup réclamaient: une assemblée constituante sera élue la 24 juillet prochain, veille de la fête traditionnelle de la République.
Aussitôt la Kasbah a levé le camp avec force youyous dans "la joie, la dignité et la fierté" comme toute la presse l'a observé. Elle a démontré sa maturité comme sa nécessité politique (voir mon billet du 27 février). Mais ce dénouement a aussi révélé la grande expérience d'une "classe politique" formée aux premières heures du bourguiguisme ou dans l'opposition à Ben Ali. Cette dimension devrait être intégrée une fois pour toute en France (on en est loin et j'y reviendrai dans un dernier billet): elle est un atout considérable pour la réussite de cette révolution et l'avènement d'une Deuxième République. 
Car les Tunisiens sont en train de donner un exemple à tout le monde arabe et peut-être au-delà. Ce sera la première fois depuis le XIX° Siècle qu'aboutira une révolution non seulement républicaine mais populaire et  démocratique. La Tunisie contemporaine renoue ainsi avec ce que sa tradition avait de singulier: elle fut le premier Etat arabe a adopter une Constitution en 1861 sous le règne de Sadok Bey, effacée bien vite par le colonialisme français. Aujourd'hui elle inaugure une procédure sans équivalent ailleurs, celle de la Constituante, riche de promesses.
La feuille de route tracée par le Président et le Premier ministre est limpide. La Constitution du 1° juin 1959 est "suspendue" et avec elle tous les organes qu'elle désignait sauf le Conseil de l'Etat c'est-à-dire le Tribunal administratif et la Cour des Comptes chargés de veiller à la régularité juridique des textes et des comptes publics. Le président de la République reste en fonction (alors que l'intérim aurait dû prendre fin le 15 mars prochain) au nom de "la pérennité de l'Etat" qu'il incarne. Depuis le mois dernier, par modification de l'article 28 de la Constitution il a reçu le pouvoir de légiférer par décret-loi, mettant ainsi hors jeu les Chambres de l'ancien régime. Le Premier ministre va annoncer dans le 48 heures un gouvernement composé de techniciens. En toute hypothèse ceux qui en seront membres ne pourront se présenter aux prochaines élections. Cette disposition fort habile a entraîné la démission des ministres politiques du gouvernement Ghannouchi, parti dimanche soir. La  Commission "pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique" qui a déjà bien entamé son travail pour ce qui concernait les missions attribuées au Doyen Ben Achoun (voir mon billet du 26 février) se réunira en Conseil formé de personnalités politiques, représentants des partis et d'organisations de la société civile; et on peut compter sur Facebook pour élargie le pérmiètre. Il est une réponse (négative) aux prétentions du Comité de défense de la Révolution qui s'était installé sous l'autorité de l'UGTT (alliée aux islamistes) syndicat dont le rôle avant et après le 14 janvier n'a pas fait encore l'objet des clarifications nécessaires. Une de ses premières contributions est la rédaction d'une code électoral garantissant la sincérité des scrutins à venir. C'est un document (pour l'instant non publié mais que nous avons pu consulter) extrêmement rigoureux: il va de l'organisation des bureaux de vote aux sanctions pénales en cas de fraude  Le scrutin se déroulera au niveau des arrondissements (sections des Gouvernorats) et probablement au scrutin uninominal; ce qui pourrait encourager l'émergence de candidats susceptibles de devenir des responsables politiques locaux de partis démocratiques qui en sont pour l'instant dépourvus. 
Ce processus est impeccable. Il contraste avec celui décidé par les militaires égyptiens: d'abord la Constitution ne sera qu'amendé; ensuite ces amendements seront le fruit des réflexions de huit experts; enfin le peuple ne pourra que les ratifier par référendum. En Tunisie la procédure retenue porte en elle une toute autre ambition démocratique.
D'abord l'Assemblée Constituante va conduire les partis (21 reconnus à ce jour) à donner un contenu à leurs projets politiques. Le débat s'est d'ores et déjà engagé sur le avantages et inconvénients des différents "modèles", étant entendu qu'il n'est pas question de reproduire l'un ou l'autre existant à l'étranger (comme cela s'était fait en 1959 en importation de la Constitution de la V° République française). Aujourd'hui les spécialistes les plus engagés dans la réflexion regardent beaucoup du côté du Portugal si ce n'est de la Pologne. Ce sont en effet deux pays qui au sortir de leurs dictatures avaient beaucoup imité le présidentialisme français. Or le Portugal entre 1976 et 1982 comme la Pologne entre 1990 et 1997 ont neutralisé le sur-pouvoir présidentiel que voulaient incarner le général Eanes comme Lech Walesa. Ces pays ont alors rejoint le monde autrement équilibré du système primo-ministériel, laissant la France seule en Europe avec son archaïsme bonapartiste. C'est ce qui pourrait advenir en Tunisie. Rares sont les partis tel le PDP qui défendent une formule quelconque de régime présidentiel; l'ambition de son fondateur Najib Chebbi, candidat par avance à la fonction suprême peut expliquer la volonté de ce parti de gauche de vouloir des élections présidentielles avant la Constituante et d'appeler de ses voeux un "régime semi-présidentiel" à la française. Le débat va donc se centrer sur les modes de production d'un parlementarisme rationalisé et sur l'opportunité de conserver l'élection du Président au suffrage universel direct. Quoi qu'il en soit, l'unanimité est pratiquement faite sur la limitation extrême des pouvoirs du président; si bien qu'à supposer que son élection populaire soit retenue elle ne sera pas différente de celle en vigueur dans onze Etats membres d l'Union Européenne, de la Finlande à l'Autriche en passant donc par le Portugal et la Pologne.
Mais d'autres débats vont animer la Constituante, en particulier celui de la sécularisation de la République. L'article 1 de la Constitution de 1959 faisait de l'Islam la religion de l'Etat tunisien.  Les laïques n'en veulent plus mais ils n'entendent pas pour autant laisser les mosquées ou l'enseignement religieux à la discrétion des imams. L'autre question est celle d'Ennahda, le mouvement islamiste inspiré à ses origines par les Frères musulmans égyptiens. Son dirigeant rentré d'exil, Rachel Ghannouchi (homonyme du ci-devant Premier ministre mais rien de plus) a tenu un discours apaisant respectueux d'une distinction entre l'Etat et la religion. Mais, s'il a reconnu la laïcité c'est en tant que" courant d'opinion" et non pas comme un mode d'organisation de toute la société. Ceci étant ces islamistes qui se revendiquent de plus en plus de l'AKP turque ne sont plus le recours au mal être de la jeunesse et n'apparaissent pas plus ici qu'ailleurs comme le meilleur choix des élites sociales. 
En tout état de cause la campagne pour les élections à la Constituante comme les débats qui vont l'animer après le 24 juillet, nonobstant le Ramadan qui devrait débuter alors, sont susceptibles de clarifier considérablement la scène politique; certains partis de gauche réfléchissent dés maintenant à leur possible fusion.
Quoi qu'il en ressorte, tout cela est un véritable événement historique qui aura des conséquences considérables et durables. D'ores et déjà la question d'Israel change de nature. Avec l'installation de régimes démocratiques et de gouvernements pratiquant l'alternance, il n'est plus du tout l'unique démocratie dans un environnement hostile, bastion contre l'islamisme radical dans la région. Avec l'émergence d'une affirmation arabo-musulmane au lieu de l'invocation de la charia c'est l'irruption d'un autre monde, celui d'une jeunesse éduquée, d'élites éclairées, de peuples matures qui auront chassé ces dictatures corrompues qui étaient ses meilleurs alliés. A l'horizon de ce printemps arabe extraordinaire, redonnant foi dans les fins démocratiques et cosmopolites de l'histoire, demeure une inquiétude; celle d'une ultime guerre qu'un Etat devenu autiste et désespéré voudrait faire à ce grand basculement.  Pour la conjurer il importe que nous soyons à la hauteur de la réinvention de la République tunisienne; or ni nos gouvernements ni nos partis ne le sont. C'est aussi chez nous qu'il faut changer profondément la politique.

mercredi 2 mars 2011

De la dictature à la démocratie, Gene Sharp.

Pour télécharger le livre, De la Dictature à La Démocratie
par Gene Sharp. cliquer ICI


Tunisie : une Assemblée constituante pourrait être créée.

LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 01.03.11 | 


Le nouveau premier ministre tunisien, Béji Caïd Essebsi, à Tunis, mardi 1er mars.
Le nouveau premier ministre tunisien, Béji Caïd Essebsi, à Tunis, mardi 1er mars.AFP/FETHI BELAID
Le nouveau premier ministre tunisien, Béji Caïd Essebsi, aurait accepté l'idée de mettre en place une Assemblée constituante, prônée par un collectif de partis et d'ONG. Cette décision n'a, pour l'heure, pas été confirmée, et le porte-parole du gouvernement, Taïeb Baccouch, était injoignable dans l'après-midi. Cette Assemblée constituante est une idée phare du Conseil de la protection de la révolution, un collectif formé de quelque 14 partis politiques, de la puissante Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) et d'organisations de la société civile.
Ahmed Néjib Chebbi, ministre démissionnaire du développement régional, a assuré que le président de la république par intérim, Foued Mbazaa, "ne prolongera pas son mandat", qui expire à la mi-mars selon la Constitution, mettant en garde contre le risque d'un "vide constitutionnel" dans le pays.

Jerad se défend et s'engage: sauvons nos entreprises et rassurons les investisseurs étrangers. (Leaders.com.tn)

«Nous abordons une prometteuse étape et l’UGTT tiendra une réunion historique de sa commission administrative pour exprimer son engagement en faveur de la réussite de la transition démocratique, du retour de la sécurité et de la préservation des acquis économiques et sociaux, loin de toute surenchère ou blocage. » C’est ce qu’a déclaré M. Abessalem Jerad, secrétaire général de l’UGTT, au micro de Shems FM, à l’issue de l’entretien qu’il a eu mardi matin avec le Premier Ministre, M. Béji Caid Essebsi. « Cet entretien, très important, a-t-il ajouté, ouvre  de nouvelles perspectives pour la centrale ouvrière et nous incite à réitérer notre volonté d’aider le gouvernement, dans ces moments particuliers. »

Pendant plus d’un quart d’heure d’antenne, le secrétaire général de l’UGTT a accepté de répondre à toutes les questions, mêmes les plus personnelles, telles que celles relatives à sa mise en cause quant à ses relations avec l’ancien régime, l’acquisition d’un lot de terrain et ses propres biens, comme celles, aussi, concernant l’attitude de l’Union durant ces dernières semaines, la transparence de la gestion financière de l’organisation et sa gouvernance. Allant plus loin dans ses réponses, il a affirmé que l’article 10 du règlement intérieur limitant à deux seulement la reconduction du mandat des membres du bureau exécutif, et objet de véritables surenchères, sera pleinement appliqué lors du prochain congrès. Avant d’expliquer pourquoi, il refuse de dégager. Extraits :
Soutien du gouvernement  et appréciation de la désignation de M. Béji Caid Essebsi: «Conscient de sa mission patriotique, l’UGTT a été dès le premier jour aux côtés du gouvernement pour l’aider à réussir. Il est vrai que nous avons regretté de n’avoir pas été consultés lors de la nomination du nouveau Premier Ministre dont nul ne saurait mettre en cause la valeur, mais nous aurions aimé voir l’UGTT associée aux concertations à ce sujet. Aujourd’hui, de grandes perspectives s’ouvrent et nous entendons y contribuer. »
Appel solennel : « J’invite tous les travailleurs à faire preuve de vigilance, ne pas se prêter aux manipulations, et à se retrousser les manches pour se remettre ardemment au travail. Il nous appartient de défendre nos emplois, nos entreprises et nos acquis. Nous devons rassurer les investisseurs étrangers déjà installés en Tunisie et en attirer davantage. Cela est d’autant plus primordial, qu’au même moment,  nous devons faire face d’un côté au nombre d’entreprises à l’arrêt suite aux dégâts subis et de l’autre, aux retours massifs des Tunisiens provenant de Libye et en faveur desquels nous devons exprimer toute notre solidarité. C’est ainsi, et ainsi seulement, que nous pouvons faire triompher les idéaux de la révolution. »
Relations avec l’ancien régime : « En tant que secrétaire général d’une grande organisation nationale partenaire social de premier plan, je ne pouvais m’interdire toute relation avec l’ancien président de la République auquel je me devais d’avoir recours pour défendre la cause des travailleurs. Nos relations étaient strictement liées à la défense de nos intérêts et nous n’avons jamais accepté la moindre main mise sur notre indépendance, ni la moindre ingérence, nos congrès et nos activités n’ayant jamais été présidés par le Chef de l’Etat, ni soumis à la tutelle du RCD. »
Gestion de l’UGTT : «Nous avons mis en place un système rigoureux de contrôle financier et d’audit comptable. Nos livres sont ouverts à toute révision.
Acquisition d’un lot de terrain auprès de l’AFH : «Oui, j’a bien acquis ce terrain et l’ai payé de mes propres deniers, comme tout citoyen Tunisien. Ce n’est parce que je suis secrétaire général de l’UGTT, que je n’ai pas le droit de postuler et d’obtenir un terrain AFH. J’habite actuellement à la Cité Ettahrir, un quartier populaire où j’ai pu acquérir un logement en 1974 et pour tous biens immobiliers, je ne possède en outre qu’une maison à Kerkennah, construite en 1990. Alors me permettez-moi de chercher à avoir un terrain AFH.»
Jerad, dégage ! : «Vous savez, l’UGTT repose sur des structures, des syndicalistes et un règlement intérieur. Je suis l’unique secrétaire général à n’avoir pas présidé les congrès, à refuser d’être élu en direct par les congressistes et non au sein de la liste des candidats. Aux derniers congrès, c’est ainsi que j’ai été élu, d’ailleurs j’étais classé 3ème, et le dépouillement était effectué notamment par des journalistes indépendants, en toute transparence. Elu, ce sont uniquement mes électeurs, les structures de l’UGTT et le congrès qui sont en mesure de me faire partir. Personne d’autre ne peut me dire : dégage !»

Elyes Jouini: Pourquoi ai-je démissionné ? Par Elyès Jouini. Leaders.com.tn


Elyes Jouini: Pourquoi ai-je démissionné ?
Mon départ n’est en aucune manière une marque de défiance, il est la marque de l’entrée dans une nouvelle phase au cours de laquelle les technocrates, dont je fais partie, se sont retrouvés de facto exclus de la négociation politique.
J’ai estimé, ainsi, de mon devoir de contribuer à redonner au Président de la République, les pouvoirs que la constitution refuse au Président par intérim. Puisque ce dernier n’a pas le droit de démettre le gouvernement, seule la démission des ministres peut lui redonner la main pour composer un nouveau gouvernement à l’image de la politique qu’il entend désormais mener.

Lorsque j’ai accepté de rejoindre le gouvernement c’était à la demande du Premier Ministre afin de contribuer à la nécessaire coordination entre les ministères concernés par les mesures économiques et sociales urgentes. Un gouvernement nouveau, hétérogène en parcours, en générations, en projets et qui devait avancer vite dans la réalisation de ses objectifs : assurer la transition démocratique dans un cadre économique et social apaisé.

Ce gouvernement a certainement échoué en matière de communication quant aux mesures qu’il a prises. Et pourtant, ce gouvernement a probablement pris en un mois plus de mesures, plus de décisions marquantes que nombre de gouvernements en plusieurs mois, voire en plusieurs années. Ratification des conventions internationales garantissant les droits de la personne et garantissant que si justice ne nous est pas rendue dans notre pays, il est désormais possible de faire appel à des juridictions internationales, aides aux familles les plus nécessiteuses, mise en place d’un programme d’aide à l’insertion des chômeurs diplômés, confiscation des biens acquis abusivement, protection de notre patrimoine inscrit au patrimoine universel,… tous les secteurs, emploi, justice, affaires sociales, culture,… ont été touchés.

Ce que nous n’avons pas pris en revanche, c’est la mesure de l’urgence en matière d’attentes politiques. Bien sûr la commission présidée par Si Yadh Ben Achour avait pour mission de proposer des solutions et de les discuter avec toutes les parties. Mais nous n’avons pas suffisamment communiqué sur l’agenda, les échéances, les options, les modalités de choix… A tel point que l’ensemble des mesures prises a été totalement brouillé par l’impatience politique. Une impatience à l'image de la fougue de cette jeunesse qui a porté la révolution, une impatience que nous n'avons pas su voir.

Cette situation de crise a conduit au départ de Si Mohamed Ghannouchi. La nomination de Si Beji Caïd Essebsi marque le retour du politique au premier plan.

Pour ma part, mon départ n’est en aucune manière, une défection. Je reste au service de mon pays, entièrement et totalement au service de mon pays et, en toute humilité, je continuerai, comme je l’ai toujours fait par le passé, à mettre au service de la Tunisie, mes compétences, mes réseaux et ma légitimité internationale acquise dans les champs scientifiques, économiques et financiers.
Elyes Jouini
 

Démissions ministérielles en Tunisie. Houda Trabelsi. Magharebia.

Reuters/Zoubeir Souissi-Le Président par intérim Foued Mebazaa

Deux autres ministres ont quitté le gouvernement tunisien, lundi 28 février, un jour seulement après le départ du Premier ministre Mohamed Ghannouchi. Mohamed Nouri Jouini, ministre du Développement et de la Coopération internationale, et Afif Chelbi, ministre de l'Energie, étaient les deux derniers membres du gouvernement provisoire qui avaient servi sous l'ancien régime.
"Je ne suis pas prêt à être celui qui prend des décisions qui finiront par entraîner des dommages", avait déclaré Ghannouchi, se référant aux affrontements de vendredi à Tunis qui ont coûté la vie à trois personnes. Ghannouchi a ajouté que sa décision n'était "pas une fuite" devant ses responsabilités, et a accusé "des forces inconnues de chercher à provoquer l'échec de l'expérience tunisienne depuis la révolution du 14 janvier".
Le Président par intérim Foued Mebazaa a nommé dimanche Beji Caid Essebsi au poste de Premier ministre. Mebazaa a souligné le patriotisme et la dévotion de cet homme, qui avait occupé les fonctions de ministre des Affaires étrangères sous la présidence d'Habib Bourguiba.
Le Président par intérim envisage de s'adresser cette semaine au peuple tunisien pour présenter son plan de travail pour la prochaine étape.
Après une brève vague de jubilation à cette annonce, les manifestants ont poursuivi leur sit-in dans la casbah, appelant à la dissolution du gouvernement et s'engageant à poursuivre leur action jusqu'à ce que leurs demandes soient satisfaites.
"Nous allons maintenant entrer dans une nouvelle ère, une nouvelle manière de traiter les évènements qui prend en compte les exigences de la révolution", a déclaré le secrétaire général du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) Mustafa Ben Jaafar lors d'une conférence de presse.
Il a indiqué que la démission de Ghannouchi était "attendue bien plus tôt", la qualifiant de "mesure nécessaire pour mettre un terme à la période ambiguë associée à son gouvernement". Le gouvernement de transition "n'a pas réussi à faire passer le message clair qu'il n'avait plus rien à voir avec l'ancien régime", selon Ben Jaafar.
"Il n'existe aucune crainte de vide politique consécutif à la démission de Ghannouchi", a-t-il déclaré, mettant en garde contre le fait que "le réel vide est celui qui menacera le pays après le 15 mars", la date prévue pour les élections présidentielles.
Pour sa part, Mokhtar Trifi, secrétaire de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme, a affirmé que le départ de Ghannouchi "était le résultat inévitable des tensions, de l'insécurité et de l'agitation politique dans le pays" et qu'il "ouvrira une nouvelle ère, durant laquelle le pays pourra mettre en place un programme général visant à se doter d'une nouvelle constitution pour la Tunisie et à accélérer les changements politiques".
La réforme politique et le développement sont les deux principales préoccupations du secrétaire d'Etat adjoint américain William Burns, qui s'est rendu en Tunisie jeudi dernier.
"La Tunisie a aujourd'hui l'occasion d'être un exemple de transition politique et de développement économique", a-t-il déclaré, soulignant l'importance de "l'évènement historique qui a fait de la Tunisie le berceau d'une révolution qui a commencé à se propager dans le reste du monde arabe".
La suite de l'article sur Magharebia ...

Appel aux Dons pour les réfugiés à la frontière lybienne.

Ce matin un appel du Dr Hammadi Turki (un des fondateurs de Tunisie Unie) qui est en contact direct avec le Ministère de la Santé Publique et avec l'armée à la frontière lybienne.

Une catastrophe humanitaire se déroule en ce moment même sous nos yeux et nous avons besoin de couvertures. (plus de 100 000 personnes à la frontière en ce moment même)

Nous vous proposons une solution à cette urgence :

1 couverture par personne

- regrouper l'ensemble des dons dans des cartons à déposer à l'adresse ci-dessou:

Centre d'exploration du Sommeil 28 avenue Moheddine Klibi Manar II 
(à côté de la clinique Avicenne) - Dr Hammadi TURKI

- ces cartons sont acheminés par des camions quotidiens auprès de l'armée tunisienne (un Général s'en charge) directement à 5 km de la frontière dans les tentes et pour les réfugiés.

Nous vous garantissons la chaine de distribution et vous demandons de diffuser ce message au maximum.

On peut aussi participer avec des produits alimentaires, des médicaments, des produits nécessaires (Lait pour les bébés, …).

mardi 1 mars 2011

Démocratie, mode d'emploi (ou le chemin qu'il reste a accomplir aux islamistes pour ne plus être perçus comme une menace pour la démocratie, par Mohamed Jaoua, jeudi 24 février 2011.

- Article paru dans Réalités.

A lire l’interview de Hamadi Jebali (« Réalités » n° 1311), le mouvement Ennahdha aurait changé. Converti à la pluralité des opinions et à la démocratie politique, il aurait aussi  abandonné sa prétention à parler au nom de l’islam, qui le rendait inacceptable aux yeux du plus grand nombre des tunisiens, musulmans qui n’entendent qu’on leur dicte la manière de vivre leur foi. « Nous ne sommes pas les représentants de l’islam … nous ne parlons au nom d’aucune autorité théologique  … ce que nous proposons n’est que notre point de vue et notre ijtihad … nous ne voulons pas que notre référentiel idéologique devienne un nouveau projet dictatorial et totalitaire … nous ne prétendons pas détenir la vérité absolue », nous dit Jebali. Avant lui, Rached Ghannouchi avait déclaré qu’Ennahdha acceptait le Code du Statut Personnel, A la bonne heure ! se dit le citoyen qui ne partage pas tous leurs points de vue, on va donc enfin pouvoir discuter, sans risquer d’être « munaffiqué » ou accusé d’apostasie, avec tous les dangers que cela suppose. D’autant qu’Ennahdha se prévaut désormais de sa proximité plus grande avec l’AKP turc qu’avec les Frères Musulmans égyptiens, dont Jebali ne nie pas pour autant l’ascendant sur son mouvement.

La suite de l’interview nous montre cependant que la mue est encore loin d’être achevée. Car, « et que ceci soit clair » nous dit Jebali, « Ennahdha n’autorisera pas l’illicite édicté par Dieu et n’interdira pas le licite …», ce dernier incluant – sans qu’il soit besoin de le préciser – la polygamie et les châtiments corporels. Mais quel est donc ce parti qui se veut « comme les autres » tout en ayant la capacité – alors même qu’il est dans l’opposition et assure n’avoir aucune aspiration à exercer le pouvoir – d’interdire et d’autoriser, au nom de la Loi de Dieu ? En serait-il donc l’expression, à la manière du « Hezb Allah » libanais de Nasrallah ? Alors qu’il vient justement de nous assurer du contraire ?

Cette contradiction trouve toute sa mesure lorsqu’on évoque la chariâ, dont Jebali nous assure qu’elle est d’origine divine, et à ce titre parfaite (c’est dit-il, « une philosophie et un message signifiant liberté, justice, égalité » …). Son point de vue a certes droit de cité dans un cadre faisant place à la pluralité d’opinions. Il ne s’agit cependant que d’un point de vue parmi d’autres, celui des théologiens salafistes et notamment wahabbites. 

Un point de vue qui n’est pas partagé par d’autres penseurs musulmans réformateurs, au nombre desquels Mohammad Abdou, Mahmoud Taha[1], et Fadhel Ben Achour, dont la lecture et les interprétations du Coran ont inspiré le CSP et nombre d’autres réformes progressistes de la Tunisie indépendante. 

N’est-il pas étrange dès lors d’accepter le CSP, comme Rached Ghannouchi le fait, tout en rejetant la lecture moderniste du Coran qui a présidé à son adoption ? N’est-il pas curieux de reporter aux calendes grecques l’application de cette chariâ (houdoud compris) pourtant parée de toutes les vertus ? Car Jebali nous le dit, son application « n’est à l’ordre du jour ni pour aujourd’hui, ni pour demain ». Elle ne le serait que beaucoup plus tard, dans une société, débarrassée de toutes les injustices et dans laquelle  « le voleur n’aura plus aucune raison de voler »…. Mais pour quelle raison cette société sans criminels aurait-elle besoin de maintenir des châtiments aussi rigoureux que l’amputation, la bastonnade et la lapidation ? Pour les appliquer à qui ?

Jebali ne répond pas à cette question, qui ne lui a d’ailleurs pas été posée. Alors, pour comprendre son discours, il faut revenir à la politique. Comme tous les partis qui ont été exclus du champ politique depuis 23 ans, Ennahdha a besoin de se restructurer, de  retrouver des troupes, et de construire des alliances politiques. Il sait que son discours traditionnel inquiète, et qu’il a peu de chances d’être entendu par des tunisiens qui viennent d’arracher leur liberté et leur dignité, sans avoir eu besoin pour cela d’aucune autre idéologie que celle du respect des droits de l’homme. Il admet enfin que « notre société et notre jeunesse n’acceptent plus la dictature, même si elle porte les habits de l’Islam… ».

Sur un autre plan, il est certain que les militants d’Ennahdha ont évolué, certains davantage que d’autres. Ils ont été pourchassés, torturés, certains y ont perdu la vie, d’autres leur équilibre familial, tout cela marque un homme et le conduit à repenser ses engagements en d’autres termes. Plus question donc de réclamer, à l’instar de la tête de liste « indépendante »  aux élections municipales de Tunis en 1989, l’application des châtiments corporels, l’abolition du CSP, le rétablissement de la polygamie et même de l’esclavage !

Mais si le discours actuel s’est adapté aux contraintes du moment, les objectifs stratégiques  restent inchangés : « Si toutes les conditions étaient réunies, les jugements divins sont alors la justice et l’équité même », et encore « si on ne replace pas ces sentences dans leur contexte, on va trouver qu’elles sont cruelles ». Jebali ajoute même que « les châtiments corporels ne sont que des détails », reprise malheureuse d’un mot de Jean-Marie Le Pen pour qualifier les chambres à gaz.

Pour se déterminer par rapport à Ennahdha, le citoyen tunisien a donc le choix entre deux attitudes : soit se satisfaire du discours actuel, modéré, séduisant même par moments, en se disant « on verra bien ensuite » ;  soit demander dès à présent des éclaircissements sur le choix  de société vers lequel on voudrait in fine nous conduire. La première attitude est celle de l’autruche. Les tunisiens l’avaient adoptée en 1987, sans avoir vraiment eu le choix : ils s’étaient réveillés un matin au son d’une déclaration promettant monts et merveilles, et une « nouvelle ère » qu’ils ont été bien obligés de subir dans la mesure où ils n’avaient été pour rien dans son avènement. On a vu ce qu’il en est advenu vingt trois ans plus tard. Quant aux iraniens, après avoir donné carte blanche à Khomeiny pour les libérer du shah, sans savoir où il les conduirait ensuite, ils se retrouvent trente deux ans plus tard au même point que nous avant le 14 janvier. Car « les promesses électorales », nous dit l’orfèvre en la matière qu’est Charles Pasqua, « n’engagent que ceux qui les écoutent ».

Alors, écoutons avec attention ce que les dirigeants d’Ennahdha ont à nous dire, et observons ce qu’ils ont à nous montrer. Et puisque nous avons la chance de ne devoir à personne notre libération, pas plus à eux qu’à aucun autre parti, soyons très attentifs à l’égard de leurs projets à long terme, pour éviter à nos enfants d’avoir à faire une nouvelle révolution dans vingt ans.

Les avancées d’Ennahdha sur le terrain de la démocratie politique sont pourtant réelles, et tous les tunisiens, ne peuvent que s’en féliciter. Pour autant, sa revendication d’une proximité avec l’AKP d’Erdogan leur paraîtra quelque peu excessive. L’AKP est né d’une mutation/scission du RP (Refah Party) d’Erbakan, qui avait gouverné la Turquie de 1996 à 1997. Cette scission avait eu pour enjeu essentiel l’intégration du concept de laïcité, dont Erbakan ne voulait à aucun prix, dans le corpus idéologique islamiste. Bien qu’imposée en 1921 par Ataturk[2], la laïcité était en effet devenue consubstantielle à la démocratie turque, sa sauvegarde étant placée sous la vigilance de l’armée, de sorte que la position d’Erbakan excluait de facto son parti du jeu démocratique. Pour sa part, Erdogan avait compris qu’un aggiornamento du courant islamiste sur cette question était indispensable à son intégration dans la normalité du champ politique. Et il s’en est fait le promoteur avec talent, et avec le succès que l’on sait.

A l’aune turque, Ennahdha se situe toutefois beaucoup plus près du RP (devenu depuis SP – Saadat Party) que de l’AKP, en ce qu’il refuse d’inscrire son projet stratégique dans la séparation durable des champs politique et religieux. Dans ses interviews récentes, Rached Ghannouchi reconnaît certes à la laïcité le droit d’exister, mais en tant que courant d’opinion, au même titre que l’islamisme ou la gauche par exemple. Il range ce faisant dans le même sac, et la confusion n’est pas innocente, des objets qui ne relèvent pas du tout du même ordre.

L’islamisme est en effet un courant politique dont, selon les termes de Jebali, l’Islam constitue le référentiel et l’inspiration. Des courants similaires existent à travers le monde, la démocratie chrétienne européenne en constituant l’archétype. Ces courants sont légitimes, et éminemment respectables, en ce qu’ils permettent à des hommes et des femmes d’agir dans la cité en accord avec les convictions que leur dicte leur foi. D’autres citoyens – de gauche ou de droite, progressistes ou conservateurs – agissent dans la cité à partir de grilles dans lesquelles la foi n’entre pas directement en ligne de compte, mais où les valeurs humanistes – d’ailleurs souvent partagées par les hommes de foi – sont convoquées. 

Nous sommes là dans le champ du débat politique, ayant pour objet de définir les meilleurs moyens d’administrer les choses de la cité. La laïcité relève quant à elle d’un autre registre. Ce n’est ni une sensibilité politique « parmi d’autres », ni un credo particulier en matière de foi, et encore moins en matière de « non foi » comme tentent de le faire accroire ses détracteurs. En fait, la laïcité est à la foi ce que la démocratie est à la politique. Elle constitue un mode d’organisation publique du champ de la foi. S’il fallait lui opposer un modèle, ce serait celui de l’organisation théocratique de ce même espace, à la manière iranienne ou saoudienne par exemple, qui donne à l’état et à « ses » religieux le pouvoir de décider du credo des citoyens. Au contraire de la laïcité qui vise, en séparant la religion de l’état, à permettre  l’expression équitable au sein de l’espace public et privé de <span>toutes</span> les sensibilités religieuses et de <span>toutes</span> les religions. Cette organisation protège la croyance individuelle de l’intrusion de quelque autorité que ce soit. Elle interdit aux autorités ou à tout groupe de citoyens de dicter sa manière de sentir et d’exprimer ses convictions à tout autre groupe, elle  constitue la meilleure protection de la liberté de conscience.

Alors, pourquoi cette confusion délibérée ? Parce qu’en rangeant la laïcité au rang des «options politiques » ordinaires, on légitime le fait qu’elle puisse aller et venir (et sans doute davantage aller que venir, et surtout revenir) au gré des élections. Il faut se souvenir que la démocratie politique était logée à la même enseigne dans le corpus islamiste de 1989. Au terme d’une longue évolution qu’il faut saluer, Ennahdha a finalement admis qu’elle se situe au dessus des partis, parce qu’elle constitue le mode indépassable d’organisation de leur action dans la société, et qu’elle ne peut donc être tributaire de la victoire électorale de l’un ou de l’autre d’entre eux. Il lui reste à accomplir un parcours similaire pour ce qui est de la foi. Car s’il ne le faisait pas, la suspicion quant à sa tentation de s’appuyer – le moment venu – sur le religieux pour monopoliser l’espace politique resterait vivace. Et l’intégration qu’il revendique en tant qu’acteur ordinaire de ce champ reste suspendue à cette mutation. Car il ne peut y avoir de jeu démocratique équilibré si l’un des acteurs dispose d’une arme – décisive – dont tous les autres sont privés. Ce jeu-là est un leurre, et il n’est qu’un prélude à la dictature.

Les islamistes n’ont pas été les seuls courants politiques à se voir confrontés à ce dilemme au cours de leur évolution. Longtemps, les partis communistes se sont appuyés sur la légitimité de l’Histoire, une histoire avec un grand « H » dont ils revendiquaient le privilège d’être les expressions ultimes. L’histoire – justement elle – a fait table rase de cette prétention, en redonnant aux peuples le droit à l’expression libre en dehors de tout dogme pré-établi.

Pour être rassurée sur la tentation hégémonique longtemps prêtée à Ennahdha, la société tunisienne a aujourd’hui besoin de plus que de mots, comme le dit très justement Hamadi Jebali, et aussi de beaucoup plus que d’actions symboliques. Elle a besoin que tous les acteurs du jeu politique s’engagent à préserver la liberté qu’elle a si chèrement acquise. Pour cela, le renoncement à parler au nom de l’Islam doit, pour être crédible, se traduire par un ralliement durable – et non pas circonstanciel – à un modèle sécularisé de société. Un modèle dans lequel les enjeux politiques portent sur les choix pour administrer la chose publique, tandis que la foi du citoyen reste dans la sphère de ses convictions intimes, même si elle peut bien évidemment inspirer ses engagements politiques. Comme cela l’a été pour l’AKP, la « normalisation » d’Ennahdha est à ce prix. 
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[1] qui fut exécuté en janvier 1985 par l’alliance Jaafar El Numeiry – Hassen Tourabi alors au pouvoir au Soudan. Leur extension à partir de 1983 du domaine de la chariâ au volet pénal avait rendu passible de la peine capitale l’expression d’opinions différentes du dogme d’état, telles que celles défendues par Mahmoud Taha Accessoirement, elle avait aussi enclenché le processus qui vient de s’achever par la partition du Soudan.


[2] "L'homme politique qui a besoin du secours de la religion pour gouverner n'est qu'un lâche. Or jamais un lâche ne devrait être investi des fonctions de chef de l'état" (Mustapha Kemal Ataturk).