Quel Bilan, 70 jours après :
La question du bilan de la situation en Tunisie, 70 jours après le départ du président déchu, est importante même si ce délai reste court, très court même, vu l’état dans lequel 23 ans de népotisme ont laissé le pays.
Si l’on regarde la situation de manière objective, il faut reconnaître que les résultats ne sont pas satisfaisants, et que la principale réalisation reste d’avoir recouvré la sécurité assez rapidement, même si tout n’est pas parfait à ce jour. La sécurité étant un préalable à toute reconstruction, elle est fondamentale.
Au niveau économique la situation est alarmante, mais finalement assez normale, surtout si l’on tient compte de ce qui se passe en Libye, et dont l’effet est désastreux sur notre économie. Quoique normale, cette situation reste explosive dans la mesure où des changements importants sont attendus suite à la révolution de la dignité dont l’emploi reste l’une des revendications principales. Sur ce plan, le gouvernement travaille, et je suis assez confiant quant à sa capacité à obtenir des résultats tangibles dans des délais raisonnables. Dans ce domaine, le principal problème va consister à apporter un traitement au déficit de recettes fiscales de l’état, à la baisse d’activité des entreprises qui va assécher leur trésorerie et aux questions du chômage et de la pauvreté. Mais les pistes existent, elles passent par des mesures fiscales et sociales en faveur des entreprises telles que l’exonération et le report des charges, ou encore le remboursement des crédits d’impôts aux entreprises. Sur un plan macroéconomique, la renégociation de la dette y compris l’annulation d’une partie, et l’appel aux bailleurs de fonds pour soutenir l’économie tunisienne. Dans le même temps, un effort immédiat doit être consacré à rétablir un équilibre régional, à travers le développement des infrastructures de base des gouvernorats de l’intérieur, pour créer de l’emploi et aussi et surtout augmenter leur attractivité et favoriser l’investissement futur. Mais il faut que tout le monde sache, que si le prix du sang a été contenu, même si chaque mort est un mort de trop, il y aura un prix économique à payer, et à celui-là personne n’échappera. Le tout est d’en faire un investissement dans la démocratie.
Sur le plan politique, les choses sont plus nuancées, s’il on peut saluer les mesures prises en matière de libertés politiques et associatives, il faut reconnaître que certaines revendications n’ont pas été entendues, puisqu’il n’y a pas eu à ce jour de vraie purge de l’administration, et qu’à part une centaine de représentants de l’ancien régime, il y a aujourd’hui beaucoup trop de gens qui sont toujours en responsabilité et dont le comportement passé prête à discussion.
Le principe de la responsabilité ne peut pas être systématiquement bafoué, en considérant que les hauts responsables n’ont fait qu’appliquer des instructions venues de plus haut. Cela reviendrait à considérer que les fonctionnaires ne sont pas dotés d’un libre arbitre, ni d’une conscience professionnelle qui auraient permis de limiter les passe-droits et les dépassements de toutes sortes.
Est-il acceptable qu’à ce jour il n’y ait eu aucun mouvement d’ampleur touchant nos représentations à l’étranger ? Que l’on ait mis autant de temps à publier la fameuse liste des 110? Je ne le crois pas, car on donne l’impression et plus, que rien ne change, et on instille l’inquiétude et le doute dans l’esprit du peuple, d’une confiscation de la révolution.
Une crise politique et un clivage fort :
Nous sommes nombreux à appeler à la construction d’une nouvelle république, qui rende au tunisien sa citoyenneté et qui le place au centre de ses préoccupations, une république attachée aux libertés et au bien être de ses citoyens. J’ai souvent pensé que sous Ben Ali nous étions devenus des locataires, et aujourd’hui nous aspirons à redevenir des copropriétaires de ce pays qui nous appartient à tous, il ne fallait pas laisser les intérêts personnels reprendre le pas, et que le gens ne soient préoccupés que par la reprise du travail quelque soient les conditions, cela n’était pas respectueux envers ceux qui sont morts pour notre liberté.
Nous traversons une crise politique, issue d’une crise de confiance, et le rétablissement de la confiance passe par le recouvrement de la crédibilité du gouvernement, et de l’appareil d’état y compris les commissions, et cela n’a pas été mené correctement, et a contribué à créer une situation de tension. Le gouvernement a raté plusieurs occasions de mieux communiquer et d’offrir des symboles aux revendications du peuple. C’est ainsi qu’il aurait fallu s’attaquer plus tôt au RCD, proposer un cabinet ministériel de transition plus resserré, avec plus de femmes, et surtout mettre en place une cellule de communication en pleine lumière, un canal officiel qui réponde aux questions des journalistes et aux interrogations des tunisiens. En temps de crise la communication revêt une importance capitale.
La mauvaise gestion de cette phase qui aurait du être une phase de rupture franche, a conduit à un clivage fort au sein du peuple tunisien.
La Tunisie s’est retrouvée partagée en deux, entre ceux qui voulaient que les choses redeviennent normales très vite, voire immédiatement, et ceux plus méfiants qui voudraient d’abord s’assurer que la bête est morte, et qu’elle ne va pas renaître de ses cendres. Je crois pour ma part que ces deux réactions sont normales et qu’elles ne devaient pas s’opposer mais être rapprochées, un travail que le gouvernement n’a pas su ou voulu faire.
Rapprochées, parce que ces deux groupes ont les mêmes aspirations, et ne sont séparés que par leur vécu de l’oppression, car enfin tous les tunisiens n’ont pas été égaux devant le régime de Ben Ali, il y a ceux qui ont subi de manière directe l’humiliation et il y a ceux qui l’ont vécue de loin sans être confrontés directement au clan ni au RCD et leurs dépassements. Ces derniers ont exprimés leurs peurs, celle du vide et de l’inconnu. Ils ont cherché à se convaincre qu’il fallait vite revenir à une vie normale, et que le départ de Ben Ali et de son clan, était en soi une victoire suffisante.
Quelle Suite ? Consacrer la rupture ! :
Ainsi, c’est sur le plan politique que les choses piétinent, il faut agir plus vite, donner des signaux positifs dans la mise en œuvre des réformes et dans la préparation de l’avenir de cette nouvelle république. Le principal souci étant, après quelques errements, de consacrer la rupture avec le passé, et de redonner l’initiative au peuple, comme il en a exprimé la volonté.
Au risque de créer les conditions d’une Kasba 3, il est impératif que le gouvernement et la commission de restructuration réalisent une bonne fois pour toutes que leur rôle est de donner suite et corps aux revendications de la révolution, car c’est de là qu’ils puisent tous deux leur légitimité. Cela passe nécessairement par l’élection d’une assemblée constituante sur la base d’un scrutin uninominal à deux tours, par opposition à un scrutin de liste utilisé jusque là, lors des élections législatives. L’objectif est de favoriser les candidatures individuelles, fermant ainsi la porte aux listes qui feraient immanquablement la part belle aux partis anciens, et conduira à une récupération politique de la révolution par des partis qui n’y ont finalement pas contribués, pas directement du moins. Les nouveaux partis auront du mal à présenter des listes dans tout le pays, pour ainsi maximiser leurs chances dans ces élections, et éviter d’être marginalisés.
Le deuxième fondement de la démarche doit être le référendum constitutionnel qui permettra au peuple de se prononcer directement sur la nouvelle constitution, en portant un avis sur les principales questions (régime, fondements de la république, laïcité, nombre et durée des mandats,…).
Je pense que ce serait une erreur majeure de vouloir imposer une assemblée constituante élue à travers un scrutin de liste, et de lui déléguer le pouvoir d’écrire et de voter la constitution sans recours à l’expression populaire. Quelque soit le mode de scrutin adopté pour l’élection de cette assemblée, elle ne sera jamais suffisamment représentative pour garantir la prise en compte de l’expression la plus large, c’est pourquoi le scrutin uninominal ne sera pas suffisant, et le référendum une nécessité.
Ce referendum constitutionnel doit être organisé en même temps que l’élection présidentielle, ce qui engagera le président élu, qui ne pourra dès lors que faire adopter la constitution par l’assemblée constituante, (acte purement formel après l’expression populaire), nommer un gouvernement, et organiser tout le processus électoral des législatives et des municipales, quelque soit le régime adopté par les tunisiens.
La combinaison en ce moment précis, entre démocratie participative à travers l’élection de l’assemblée constituante et démocratie directe par le truchement du référendum, est la seule démarche, à mon sens porteuse d’espoirs, qui permettra une vraie rupture avec les procédés du passé. Elle donnera l’occasion à tout le peuple tunisien de s’exprimer individuellement sur son avenir, et de concrétiser l’engagement et la responsabilité de tous les tunisiens dans la construction de la nouvelle république. Dans le même temps, cela permettra de reporter l’engagement direct des partis neufs dans la vie politique, et de donner du temps au temps, en offrant la possibilité que les orientations se précisent, que les discours politiques se fondent, et que les bases militantes se constituent.
La question du bilan de la situation en Tunisie, 70 jours après le départ du président déchu, est importante même si ce délai reste court, très court même, vu l’état dans lequel 23 ans de népotisme ont laissé le pays.
Si l’on regarde la situation de manière objective, il faut reconnaître que les résultats ne sont pas satisfaisants, et que la principale réalisation reste d’avoir recouvré la sécurité assez rapidement, même si tout n’est pas parfait à ce jour. La sécurité étant un préalable à toute reconstruction, elle est fondamentale.
Au niveau économique la situation est alarmante, mais finalement assez normale, surtout si l’on tient compte de ce qui se passe en Libye, et dont l’effet est désastreux sur notre économie. Quoique normale, cette situation reste explosive dans la mesure où des changements importants sont attendus suite à la révolution de la dignité dont l’emploi reste l’une des revendications principales. Sur ce plan, le gouvernement travaille, et je suis assez confiant quant à sa capacité à obtenir des résultats tangibles dans des délais raisonnables. Dans ce domaine, le principal problème va consister à apporter un traitement au déficit de recettes fiscales de l’état, à la baisse d’activité des entreprises qui va assécher leur trésorerie et aux questions du chômage et de la pauvreté. Mais les pistes existent, elles passent par des mesures fiscales et sociales en faveur des entreprises telles que l’exonération et le report des charges, ou encore le remboursement des crédits d’impôts aux entreprises. Sur un plan macroéconomique, la renégociation de la dette y compris l’annulation d’une partie, et l’appel aux bailleurs de fonds pour soutenir l’économie tunisienne. Dans le même temps, un effort immédiat doit être consacré à rétablir un équilibre régional, à travers le développement des infrastructures de base des gouvernorats de l’intérieur, pour créer de l’emploi et aussi et surtout augmenter leur attractivité et favoriser l’investissement futur. Mais il faut que tout le monde sache, que si le prix du sang a été contenu, même si chaque mort est un mort de trop, il y aura un prix économique à payer, et à celui-là personne n’échappera. Le tout est d’en faire un investissement dans la démocratie.
Sur le plan politique, les choses sont plus nuancées, s’il on peut saluer les mesures prises en matière de libertés politiques et associatives, il faut reconnaître que certaines revendications n’ont pas été entendues, puisqu’il n’y a pas eu à ce jour de vraie purge de l’administration, et qu’à part une centaine de représentants de l’ancien régime, il y a aujourd’hui beaucoup trop de gens qui sont toujours en responsabilité et dont le comportement passé prête à discussion.
Le principe de la responsabilité ne peut pas être systématiquement bafoué, en considérant que les hauts responsables n’ont fait qu’appliquer des instructions venues de plus haut. Cela reviendrait à considérer que les fonctionnaires ne sont pas dotés d’un libre arbitre, ni d’une conscience professionnelle qui auraient permis de limiter les passe-droits et les dépassements de toutes sortes.
Est-il acceptable qu’à ce jour il n’y ait eu aucun mouvement d’ampleur touchant nos représentations à l’étranger ? Que l’on ait mis autant de temps à publier la fameuse liste des 110? Je ne le crois pas, car on donne l’impression et plus, que rien ne change, et on instille l’inquiétude et le doute dans l’esprit du peuple, d’une confiscation de la révolution.
Une crise politique et un clivage fort :
Nous sommes nombreux à appeler à la construction d’une nouvelle république, qui rende au tunisien sa citoyenneté et qui le place au centre de ses préoccupations, une république attachée aux libertés et au bien être de ses citoyens. J’ai souvent pensé que sous Ben Ali nous étions devenus des locataires, et aujourd’hui nous aspirons à redevenir des copropriétaires de ce pays qui nous appartient à tous, il ne fallait pas laisser les intérêts personnels reprendre le pas, et que le gens ne soient préoccupés que par la reprise du travail quelque soient les conditions, cela n’était pas respectueux envers ceux qui sont morts pour notre liberté.
Nous traversons une crise politique, issue d’une crise de confiance, et le rétablissement de la confiance passe par le recouvrement de la crédibilité du gouvernement, et de l’appareil d’état y compris les commissions, et cela n’a pas été mené correctement, et a contribué à créer une situation de tension. Le gouvernement a raté plusieurs occasions de mieux communiquer et d’offrir des symboles aux revendications du peuple. C’est ainsi qu’il aurait fallu s’attaquer plus tôt au RCD, proposer un cabinet ministériel de transition plus resserré, avec plus de femmes, et surtout mettre en place une cellule de communication en pleine lumière, un canal officiel qui réponde aux questions des journalistes et aux interrogations des tunisiens. En temps de crise la communication revêt une importance capitale.
La mauvaise gestion de cette phase qui aurait du être une phase de rupture franche, a conduit à un clivage fort au sein du peuple tunisien.
La Tunisie s’est retrouvée partagée en deux, entre ceux qui voulaient que les choses redeviennent normales très vite, voire immédiatement, et ceux plus méfiants qui voudraient d’abord s’assurer que la bête est morte, et qu’elle ne va pas renaître de ses cendres. Je crois pour ma part que ces deux réactions sont normales et qu’elles ne devaient pas s’opposer mais être rapprochées, un travail que le gouvernement n’a pas su ou voulu faire.
Rapprochées, parce que ces deux groupes ont les mêmes aspirations, et ne sont séparés que par leur vécu de l’oppression, car enfin tous les tunisiens n’ont pas été égaux devant le régime de Ben Ali, il y a ceux qui ont subi de manière directe l’humiliation et il y a ceux qui l’ont vécue de loin sans être confrontés directement au clan ni au RCD et leurs dépassements. Ces derniers ont exprimés leurs peurs, celle du vide et de l’inconnu. Ils ont cherché à se convaincre qu’il fallait vite revenir à une vie normale, et que le départ de Ben Ali et de son clan, était en soi une victoire suffisante.
Quelle Suite ? Consacrer la rupture ! :
Ainsi, c’est sur le plan politique que les choses piétinent, il faut agir plus vite, donner des signaux positifs dans la mise en œuvre des réformes et dans la préparation de l’avenir de cette nouvelle république. Le principal souci étant, après quelques errements, de consacrer la rupture avec le passé, et de redonner l’initiative au peuple, comme il en a exprimé la volonté.
Au risque de créer les conditions d’une Kasba 3, il est impératif que le gouvernement et la commission de restructuration réalisent une bonne fois pour toutes que leur rôle est de donner suite et corps aux revendications de la révolution, car c’est de là qu’ils puisent tous deux leur légitimité. Cela passe nécessairement par l’élection d’une assemblée constituante sur la base d’un scrutin uninominal à deux tours, par opposition à un scrutin de liste utilisé jusque là, lors des élections législatives. L’objectif est de favoriser les candidatures individuelles, fermant ainsi la porte aux listes qui feraient immanquablement la part belle aux partis anciens, et conduira à une récupération politique de la révolution par des partis qui n’y ont finalement pas contribués, pas directement du moins. Les nouveaux partis auront du mal à présenter des listes dans tout le pays, pour ainsi maximiser leurs chances dans ces élections, et éviter d’être marginalisés.
Le deuxième fondement de la démarche doit être le référendum constitutionnel qui permettra au peuple de se prononcer directement sur la nouvelle constitution, en portant un avis sur les principales questions (régime, fondements de la république, laïcité, nombre et durée des mandats,…).
Je pense que ce serait une erreur majeure de vouloir imposer une assemblée constituante élue à travers un scrutin de liste, et de lui déléguer le pouvoir d’écrire et de voter la constitution sans recours à l’expression populaire. Quelque soit le mode de scrutin adopté pour l’élection de cette assemblée, elle ne sera jamais suffisamment représentative pour garantir la prise en compte de l’expression la plus large, c’est pourquoi le scrutin uninominal ne sera pas suffisant, et le référendum une nécessité.
Ce referendum constitutionnel doit être organisé en même temps que l’élection présidentielle, ce qui engagera le président élu, qui ne pourra dès lors que faire adopter la constitution par l’assemblée constituante, (acte purement formel après l’expression populaire), nommer un gouvernement, et organiser tout le processus électoral des législatives et des municipales, quelque soit le régime adopté par les tunisiens.
La combinaison en ce moment précis, entre démocratie participative à travers l’élection de l’assemblée constituante et démocratie directe par le truchement du référendum, est la seule démarche, à mon sens porteuse d’espoirs, qui permettra une vraie rupture avec les procédés du passé. Elle donnera l’occasion à tout le peuple tunisien de s’exprimer individuellement sur son avenir, et de concrétiser l’engagement et la responsabilité de tous les tunisiens dans la construction de la nouvelle république. Dans le même temps, cela permettra de reporter l’engagement direct des partis neufs dans la vie politique, et de donner du temps au temps, en offrant la possibilité que les orientations se précisent, que les discours politiques se fondent, et que les bases militantes se constituent.