"La première chose qu’il faut faire, c’est prendre soin de votre cerveau. La deuxième est de vous extraire de tout système d’endoctrinement. Il vient alors un moment ou ça devient un réflexe de lire la première page de votre journal en y recensant les mensonges et les distorsions, un réflexe de replacer tout cela dans un cadre rationnel. Pour y arriver, vous devez encore reconnaitre que l’Etat, les corporations, les medias et ainsi de suite, vous considèrent comme un ennemi; vous devez donc apprendre à vous défendre. Si nous avions un vrai système d’éducation, on y donnerait des cours d’autodéfense intellectuelle." Noam Chomsky.

" Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire ". Albert Einstein.

mardi 8 février 2011

Que veulent les Frères musulmans ? LeMonde.fr

LEMONDE.FR | 08.02.11 | 09h08  •  Mis à jour le 08.02.11 | 10h40

 

Mohammed Badie, le guide suprême depuis janvier 2010 des Frères musulmans égyptiens, lors d'une conférence de presse le 30 mai 2010.
Mohammed Badie. 30 mai 2010.AFP.

Pour la première fois depuis cinquante ans, le pouvoir égyptien et les Frères musulmans ont repris langue officiellement. Représentants de la principale force d'opposition du pays, certains membres de la confrérie ont participé dimanche au dialogue national engagé par le vice-président Omar Souleiman. Fondée en 1928, dissoute en 1954, officiellement interdite mais tolérée par le pouvoir, l'organisation est devenue un acteur majeur pour sortir de la crise qui paralyse le géant arabe.


  • Une force politique incontournable ?
Les Frères musulmans ne sont pas à l'origine du mouvement de contestation qui a fait vaciller le gouvernement, mais ils en sont peut-être les principaux bénéficiaires. Présents sur les barricades de l'emblématique place Tahrir et dans les rues d'Alexandrie, ils se sont mêlés aux opposants laïques, à ceux de gauche et aux adeptes des réseaux sociaux sur Internet. "La logistique de la confrérie a été indispensable aux manifestants de la place Tahrir. Elle leur a fourni des médecins, de la nourriture, des couvertures, et c'est ce qui a permis au mouvement de durer", note Tewfik Aclimandos, historien et chercheur associé à la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France.
Funérailles d'un membre des Frères musulmans, tué vendredi au Caire. La confrérie est restée très discrète lors des obsèques, samedi 30 janvier, et a pris soin de ne pas faire de sa mort une cause politique.
AFP/MOHAMMED ABED.
Ralliée à la Coalition nationale pour le changement qui demande le départ immédiat du président Hosni Moubarak, la formation d'un gouvernement de transition, la levée de l'état d'urgence, des réformes constitutionnelles et des élections libres, la confrérie est restée officiellement en retrait. 
Mais cette Coalition est "un mouvement hétéroclite et désordonné qui rassemble autant de points de vue qu'elle compte d'acteurs, souligne Tewfik Aclimandos. Les Frères musulmans, eux, constituent une force nettement plus organisée. Ils n'ont pas besoin de la Coalition pour exister et il est impensable d'envisager une sortie de crise sans eux".
  • Des politiciens pragmatiques ?
Les Frères musulmans l'ont dit et répété : ils n'ont pas l'intention de présenter un candidat à la présidentielle égyptienne prévue en septembre. Est-ce à dire que la confrérie se désintéresse du pouvoir ? "Non, affirme Tewfik Aclimandos, seulement le programme des Frères s'inscrit dans une stratégie de long terme. Dans l'immédiat, ils ont tout intérêt à discuter. Ils vont chercher à obtenir des gages du gouvernement tout en militant pour la légalisation du mouvement."
"Ce sont des politiciens chevronnés et très prudents, explique Stéphane Lacroix, spécialiste de l'islam politique et maître de conférence à Sciences-Po. Ils jouent sur tous les tableaux. Depuis les années 1970, la confrérie a toujours évolué à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du système. Si les négociations échouent, les Frères savent qu'ils seront les premières victimes de la répression. Pour parer à cette éventualité, ils ont besoin d'apparaître comme une force conciliatrice."
  • Une organisation unie ?
Il existe plusieurs tendances au sein de la confrérie. L'organisation est tenue par des élèves de Sayyid Qutb, théoricien égyptien et membre des Frères musulmans pendu en 1966 sous le régime de Nasser. Ces membres sont partisans d'un théocratie intégrale. Ils coexistent au sein de la confrérie avec les salafistes, qui prônent une restauration de la communauté musulmane des origines de l'islam et une interprétation rigoriste des textes. Troisième composante, aujourd'hui minoritaire : les islamo-démocrates, qui s'efforcent de concilier démocratie et charia.
Le chef de file des Frères musulmans, Mohammed Badie.
REUTERS/AMR ABDALLAH DALSH
Selon Stéphane Lacroix, "la plupart des militants ne s'identifient à aucune des trois tendances évoquées et il est difficile de dire si un consensus existe au sein du mouvement". "Si des conservateurs occupent aujourd'hui des postes de direction, c'est parce que les Frères ont été l'objet de mesures ultra-répressives de la part du pouvoir, explique pour sa part Joshua Stacher, chercheur à l'université de Kent (Etats-Unis). Depuis les élections législatives de 2005 [au cours desquelles ils avaient obtenu 88 sièges, soit un cinquième de l'Assemblée], leurs membres ont été arbitrairement arrêtés. La répression a favorisé la fragmentation du groupe, et donc la mise en avant des voix les plus conservatrices."
Mais "l'appareil est moins divisé que les militants", estime toutefois Tewfik Aclimandos. "L'organisation est parfaitement en mesure de serrer les rangs et de se mettre en ordre de marche si la nécessité l'exige. Les bolcheviks aussi étaient très divisés en 1917..."
  • Un mouvement démocrate ?
Les Frères musulmans ont beaucoup à gagner à la transition démocratique engagée. Elle pourrait notamment leur permettre d'accéder à une liberté de mouvement nouvelle, à une visibilité médiatique inédite et au droit de participer aux élections. Pour ces raisons, "ils n'ont aucune raison de s'opposer à cette évolution, estime Tewfik Aclimandos. "Mais ils ne sont pas démocrates pour autant : contrairement à certains compagnons de route et à une minorité de membres de la confrérie qui s'efforcent de mêler charia et démocratie, l'appareil n'a pas opéré sa conversion démocratique."
En matière de respect des libertés fondamentales, de reconnaissance de l'égalité des citoyens (quels que soient leur sexe et leur confession), ou de positionnement international, la confrérie a du chemin à faire. D'après l'historien, elle a toujours en vue la construction d'un Etat musulman. Elle n'a pas renoncé à son "agenda théocratique", et son pragmatisme ne signifie pas qu'elle transigera sur ses fondamentaux idéologiques.
Les Frères musulmans distribuent des tracts à Alexandrie, le 26 novembre 2010, appelant à voter pour leurs candidats lors des législatives.
REUTERS/GORAN TOMASEVIC
Plus nuancé, Stéphane Lacroix souligne que les Frères affichent comme objectif principal la construction d'"un Etat civil démocratique à référent islamique". Le mouvement n'a pas suivi l'évolution d'un parti comme l'AKP (Parti pour la justice et le développement, islamo-conservateur, au pouvoir en Turquie depuis 2002), mais la fougue de l'islamisme triomphant des années 1970 s'est apaisée. Les Frères ont intériorisé les contraintes que leur impose la situation internationale, notamment vis-à-vis des Etats-Unis et d'Israël. "Et ce sont d'excellents communicants. Leur rhétorique est volontairement rassurante."
  • Un appareil en mutation ?
A en croire Stéphane Lacroix, le mouvement est bel et bien en train de changer. Nombre de jeunes Frères ne s'identifient pas à l'idéologie de l'appareil dirigeant. Si la transition démocratique engagée ces derniers jours va de pair avec l'instauration d'un climat d'ouverture et de transparence, "il est possible que les débats qui se déroulent aujourd'hui dans le huis clos du conseil de guidance se déplaceront sur la place publique, estime le chercheur. Cela pourrait affecter les équilibres qui existent au sein de la confrérie, probablement dans le sens des islamo-démocrates".

Des femmes et leurs enfants manifestent contre l'arrestation de leur mari, dont le tort est d'appartenir au mouvement des Frères musulmans. On peut lire sur les pancartes : "Où est mon père ?", "Relâchez mon père" et "19 professeurs égyptiens en prison".
AP/NASSER NOURI

Un avis partagé par Joshua Stacher : "Si un processus démocratique se mettait en place, on peut imaginer que les voix les plus radicales ou les plus antagonistes de la confrérie se feraient plus discrètes, tandis que les plus pragmatiques se verraient confier davantage de poids. Par ailleurs, on ne peut exclure qu'un parti politique issu de la confrérie voie le jour, à l'image de l'AKP en Turquie."

Pour en savoir plus :
  • Une étude (PDF) de l'institut suisse Religioscope éclaire le rôle social et caritatif joué par la confrérie.
Le Monde.fr

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